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j.-m. guardia. — philosophes espagnols (j. huarte)

régnaient dans les écoles ; aussi écrivit-il en latin, pour les doctes ; tandis que Huarte et Oliva Sabuco se préoccupent du bien public, et traitent les plus hautes matières en langue vulgaire, en se mettant à la portée de tous les lecteurs.

C’est à ce point de vue d’une utile propagande, qu’il faut considérer la longueur relative de la seconde partie de l’Examen, qui renferme toutes les applications de la doctrine générale. C’est là qu’on voit combien était positif et pratique cet observateur que beaucoup de ses adversaires ont traité d’esprit chimérique et paradoxal. En somme, il tient moins à sa physiologie et à sa psychologie, si ingénieuses qu’elles soient, qu’à l’amélioration d’un état social dont la réforme lui paraît possible, et même facile, puisqu’il ne s’agit que de l’élite de la nation et de la sélection des esprits qui représentent la vie supérieure de la race.

Et ce qui montre bien qu’il se préoccupe avant tout de l’utile, c’est qu’il élimine de cette élite quiconque contribue au luxe plutôt qu’à la prospérité de l’État. Peut-être estimait-il que chez un peuple où la misère psychologique allait de pair avec la disette et la famine, le luxe était de trop. Aussi ne doit-on pas s’étonner de sa sobriété à l’égard des artistes, des musiciens, des poètes et des écrivains, en un mot, de tous ceux qui ne travaillent qu’en vue de plaire, pour l’agrément des oisifs. Il leur accorde bien une mention en passant, mais avec une sorte de dédain prémédité, en les mettant pour ainsi dire hors cadre, comme des parasites de la société.

L’indifférence qu’il montre pour la tribu innombrable des amuseurs de tout ordre s’expliquerait par son scepticisme philosophique, si elle n’était pas justifiée par l’incroyable ascendant des baladins du cirque et du théâtre, dont le métier était d’amuser le public et de le distraire des questions dont l’autorité se réservait le monopole. Les courses de taureaux, les actes de foi, suivis des scènes hideuses du brûloir (quemadero), les processions solennelles, les fêtes de quartier, les mystères (autos sacramentales), les représentations théâtrales de l’après-midi : telles étaient les occupations journalières des nobles fainéants dont la profession était de ne rien faire. La cruauté, le fanatisme, l’intolérance se développaient à l’aise, avec l’ignorance universelle ; et l’éducation publique s’achevait au spectacle de ces pièces mal bâties, incohérentes, monstrueuses, où la déraison et l’immoralité se donnaient libre carrière. Le pavillon de la foi couvrait ces marchandises avariées, et les dramaturges les plus populaires s’honoraient du titre envié de familier de l’Inquisition, portaient le froc ou la soutane. Beaucoup de livres d’un dévergondage cynique avaient pour auteurs des hommes d’Église, entre autres la mépri-