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cosme, loin d’ouvrir un abîme entre l’organique et l’inorganique, fait naître le premier du second, et explique les organismes vivants par les lois de la physique et de la chimie, sans l’hypothèse d’une entité assimilable, par son origine et son essence, à la cause première.

Si l’on reconnaît la vraisemblance de cette manière de voir, il faudra reconnaître aussi que toutes les manifestations de la vie, toutes sans exception, sont de source organique ; qu’il est permis tout au plus de les classer par degrés, sinon par catégories distinctes, et que tous les phénomènes de la vie organique, conscients et inconscients, relèvent également du mouvement et de la sensibilité, qui en sont les deux pôles. Ni les vitalistes avec leur trilogie, ni les animistes avec leur dualisme, n’ont pu résoudre le problème de la vie sans imaginer des êtres de raison, sans personnifier l’abstrait ; mais il le faut reconnaître, en tendant diversement vers l’unité, les uns par l’activité incessante du principe vital, les autres par l’autocratie de l’âme pensante. Leurs systèmes sont très raisonnables quand on en élimine les fictions, en se bornant à demander à l’organisme l’explication de la vie organique et de tous les phénomènes vitaux.

Le sage Locke, qui est l’honneur de la médecine et de la philosophie, se passait de toutes ces fictions platoniciennes et aristotéliques et quoique bon chrétien, il ne croyait point offenser Dieu en se contentant de la matière. C’est à cette conception simple du plus candide des philosophes que nous devons un beau livre de Leibniz où ce génie conciliant, par une restriction singulière à l’axiome aristotélique de la philosophie naturelle, s’efforce de sauver sa monade. Locke est le père de la philosophie qui tend à prévaloir dans la science et dans les mœurs, grâce aux efforts du xviiie siècle, efforts qui ont abouti à réhabiliter la vie organique, et à réconcilier les philosophes avec les naturalistes et les médecins ; ou du moins il en est le parrain, car il n’a fait que reprendre l’héritage de Démocrite, d’Empédocle, d’Epicure, d’Asclépiade et de Lucrèce, et de ses précurseurs du xvie siècle, parmi lesquels brillent d’un vif éclat Gomez Pereira, Huarte et Oliva Sabuco, qui essayèrent successivement, dans un intervalle de trente-cinq années, de ramener la psychologie à la physiologie et de fonder la science de l’homme sur les faits d’observation et d’expérience : le premier en refondant la doctrine de la sensibilité ; le second en faisant de la psychologie organique ; le troisième en expliquant les passions par le système nerveux ; tous les trois en rompant avec les traditions de la métaphysique scolastique, et les deux derniers en demandant à la médecine les moyens d’améliorer la vie sociale.

Gomez Pereira en voulait surtout aux erreurs et aux préjugés qui