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j.-m. guardia. — philosophes espagnols (j. huarte)

Voilà pour les arts.

La revue des sciences commence par les mathématiques. Elles n’ont point échappé à la décadence générale ; leur enseignement est dérisoire. Faute de cultiver cette branche du savoir, l’Espagne manque d’ingénieurs, de pilotes, d’architectes ; et cette disette de savants utiles la rend tributaire de l’étranger, pues en materia de ingenios ha de ir siempre á buscarles á las extrañas naciones con daño grave del bien público. Les mathématiques servent à autre chose encore : elles préparent admirablement aux autres études, à cause des bonnes habitudes qu’elles donnent à l’esprit par une discipline fortifiante. Il les faut, bien entendu, enseigner en langue vulgaire, comme on le fait, ajoute-t-il, dans l’École que Votre Majesté a établie près de sa cour. Ce que le réformateur ne pouvait dire, car il n’était pas prophète, c’est que la chaire de hautes mathématiques de l’Université de Salamanque resta vacante près d’un siècle et demi faute de maîtres pour la remplir. L’exemple de Galilée avait rendu les mathématiciens suspects.

On examine ensuite l’enseignement de la philosophie naturelle, par laquelle il faut entendre les sciences appliquées. C’était là surtout le point faible des écoles. Les maîtres se perdaient dans les généralités et ne daignaient point descendre aux détails techniques, aux démonstrations expérimentales. Le censeur déplore particulièrement l’abandon des bons préceptes d’agriculture, et la décadence de cette industrie agricole qu’il signale comme la cause principale de la misère publique et de la diminution des revenus de la couronne. Et il montre l’Espagne appauvrie dans son propre sol, et réduite à la famine, dès que la récolte des grains est compromise, avec une population misérable qui déserte les champs. L’art de les cultiver devrait être partout enseigné en langue vulgaire ; les bons ouvrages d’agronomie des anciens pourraient être avantageusement traduits. Chose étrange. Les écoles publiques coûtent des sommes énormes, et l’on n’y trouve pas à s’instruire des trois choses les plus essentielles à la vie : l’agriculture, l’architecture et l’art militaire, tandis qu’on y enseigne tant de futilités, habiendo tantas liciones de vanas sofisterias las cuales quien las sabe no sabe nada por sabellas, ni por ignorarlas ignora nada el que no las sabe.

Quant à la philosophie morale, elle n’est point enseignée de fait dans les écoles, bien qu’elle soit essentielle, tant pour la conduite privée que pour le gouvernement. Il faudrait exiger de tous des notions de morale ; et l’enseigner en langue vulgaire, en la rendant obligatoire pour les gouvernants de tout ordre, qui s’imaginent que l’art de gouverner consiste uniquement à faire fortune ; de sorte