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g. fonsegrive. — l’homogénéité morale

Il faut donc se décider à poser de l’homme une définition. De cette décision première tout le reste va dépendre. C’est elle qui organisera autour d’elle tous les systèmes idéaux d’abord, Imaginatifs et musculaires ensuite, qui devront servir à la réaliser. L’homogénéité rationnelle du système s’établira sous la dépendance de la définition de l’homme et de la solution positive ou négative du problème de sa destinée.

De cette homogénéité découlera l’esprit de suite dans l’éducation, l’accord de l’éducateur avec lui-même et des éducateurs entre eux. Cette harmonie si désirable même pour les procédés d’instruction est indispensable en éducation. Des maîtres divisés de doctrines, de manières d’agir et de juger les actions ne formeront jamais un caractère consistant. Si ce caractère se forme, ce sera malgré eux, parce que, grâce à une sève morale puissante, il aura su conquérir son autonomie. Les autres resteront vacillants et verbaux sans autre fond que le souvenir de quelques leçons austères, de quelques hauts exemples qui leur font sentir sans doute leur néant moral, mais sont impuissants à les arracher au fuyant scepticisme de leur intelligence et au tyrannique dogmatisme de leurs intérêts.

À l’esprit de suite l’éducateur devra joindre l’art d’éveiller chez l’enfant la réflexion morale et de lui enseigner à construire le personnage moral. Pour cela il devra lui meubler la mémoire d’images d’actions conformes au but poursuivi. Et ce ne sont pas seulement des exemples d’actions héroïques et admirables qu’il faut donner à l’enfant, mais encore, mais surtout, des exemples de vies conformes à elles-mêmes, consistantes et homogènes dans les actions les plus simples et les plus vulgaires. Les héros se proposent à l’admiration, ce que je suis loin de trouver mauvais, mais seuls les honnêtes gens vertueux dans les choses ordinaires peuvent être proposés en exemples. Ce sont des vies entières et détaillées et non des traits d’histoire qu’il faut faire méditer à nos enfants. Il est vrai qu’elles sont rares, parmi les vies des grands hommes, celles qu’on oserait de tout point proposer à l’imitation. Les chrétiens seuls ne sont pas embarrassés et leur hagiographie est riche de ces vies à la fois vertueuses et communes que tous peuvent imiter dans tous leurs détails. En cherchant bien, pourquoi n’en trouverait-on pas de semblables parmi les évolutionnistes ou les kantiens ?

Mais donner à l’enfant des exemples à suivre ne suffit pas, ces exemples ne lui fournissent que la matière de ses actions. Il faut lui apprendre à composer son personnage, l’habituer dès lors à prévoir ce qu’il aura à faire dans la journée pour que, dans le calme de la réflexion, il s’habitue à préparer son rôle conformément à l’idée