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des légions de pédants qui se faisaient des rentes de leur incapacité. Chacun voulait paraître ; la sotte vanité faisait tourner toutes les têtes. Quoique Gascon, le baron de Faeneste aurait dû naître en Espagne ; mais il lui aurait fallu plus de gravité ; la gravité servait de masque à la nullité ; et si l’on comptait peu d’hommes sérieux, en revanche les hommes graves étaient en nombre. Charles-Quint ne fut pas dupe de ces dehors menteurs ; il vit très bien que l’orgueil castillan n’était que de la vanité.

Le mal avait tout envahi vers la fin du règne de son fils, le plus grave et le plus sot des monarques. Les belles promesses du siècle à son début s’étaient évanouies. Les hommes de la Renaissance ne furent pas remplacés. Après la seconde Bible polyglotte, plus d’érudition, plus de philosophie, plus d’exégèse. Arias Montano, le plus illustre des orientalistes espagnols, persécuté, abreuvé d’amertume, se met à faire des vers latins, comme les plus médiocres humanistes de l’université de Valence. On disputait dans les écoles en un jargon barbare ; mais on ne pensait plus. Déraisonner avec art, en vue des concours, voilà le but des logiciens scolastiques ; car tout se donnait au concours (oposiciones), et il fallait argumenter victorieusement pour avoir une prébende, un bénéfice, un emploi, une charge, une chaire, bref, une position sociale, otium cum dignitate. Et malgré tout, le concours pour le mandarinat, toujours en vigueur, n’a pu préserver du ramollissement la cervelle des mandarins, ni conjurer cette démence sénile que tous les titres du monde ne sauraient pallier.

Un contemporain de Huarte, qui n’était pas médecin, a laissé une consultation mémorable sur l’épidémie scolaire qui tendait h s’acclimater en Espagne avant la fin du xvie siècle. Il se nommait Pedro Simon Abril, né dans la ville d’Alcaraz, compatriote par conséquent de Oliva Sabuco, dont le livre hardi sur la rénovation de la médecine et de la philosophie, précéda de deux années seulement le manifeste de ce grand humaniste, publié en 1589. C’est un opuscule de quelques pages, qu’il faut analyser brièvement, afin que le lecteur puisse comparer les deux consultations.

C’est au roi que le réformateur adresse son projet d’une réforme des études, lui représentant sa haute responsabilité, et l’insuffisance des sujets qu’il a commis à l’inspection des collèges et des hautes écoles. Il compare le mal à une fièvre hectique, dont les ravages sont lents, mais sûrs, que va consumiendo la virtud a la doctrina, y transformandola poco á poco en un puro barbarismo. L’ignorance des bonnes méthodes est complète : les quelques auteurs qui en