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j.-m. guardia. — philosophes espagnols (j. huarte)

III. Application de la doctrine.

Comme La Bruyère, Huarte aurait pu dire : « Je rends au public ce qu’il m’a prêté » ; car il a peint d’après nature la société de son temps. Ses observations portent sur ces classes qu’on appelle aujourd’hui dirigeantes, et qui dirigèrent si mal, que l’Espagne contemporaine se ressent encore de leurs méfaits. Sous la monarchie absolue, le peuple ne compte pas : c’est le monarque qui est tout et qui donne quelque chose de sa valeur effective à quiconque le touche de près ou de loin, puisque de lui émanent tout pouvoir et toute grâce. Ce n’est pas à tort que le plus glorieux des rois se comparait au soleil et le prenait pour emblème. En dehors du peuple des laboureurs et des artisans, des gens de commerce et de négoce, il y avait le roi et sa cour, les ordres militaires et l’armée, les clercs séculiers et réguliers, autre armée formidable ; la puissante corporation des légistes ; les médecins, les chirurgiens-barbiers et les apothicaires, et des légions de maîtres et d’étudiants, qui peuplaient les universités et les collèges groupés autour d’elles ; on peut ajouter les hidalgos faméliques, dont le métier était de ne rien faire. En somme, ce qui dominait dans la bourgeoisie espagnole, c’était l’élément universitaire et académique, les gradués qui vivaient de leurs titres et, parmi eux, beaucoup de gens partis de très bas, enfarinés de science, pour se soustraire au travail. Les universités ne désemplissaient point, et se recrutaient aussi mal que le clergé des deux ordres. Le parasitisme prenait le masque de la religion et de la science, et les bras manquaient pour cultiver le sol. Faute de sélection, l’aristocratie de l’intelligence se trouvait menacée, envahie, débordée et submergée par la démagogie des écoles, plus avide de la fin que des moyens, s’inquiétant uniquement du diplôme et se moquant des études.

La pompe des noms et des cérémonies masquait la pauvreté de l’enseignement, de même que l’arrogance et la morgue des gradués remplaçaient la dignité et la modestie du vrai mérite. La science suivait la même pente que la religion : le formalisme s’imposait à tous, comme l’étiquette de cour ; et c’est ainsi qu’on sauvait les apparences. En réalité, tous ces dehors fastueux cachaient la fausseté de la foi, de la sagesse et du savoir, et tous ces gens travestis jouaient la comédie, comme des histrions. C’est ainsi que l’hypocrisie, qui consiste à simuler et à dissimuler, se glissait dans toutes les classes dirigeantes. Des universités grandes et petites sortaient