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misa y olla. Quant aux couvents, hormis des exceptions de plus en plus rares, on ne saurait oublier le trait cruel d’un moine défroqué qui se fit protestant. Il comparait les couvents à l’arche de Noë, qui renfermait peu de gens et toute sorte de botes.

Telle était, dès la fin du xvie siècle, cette élite sociale qui se partageait les professions libérales : prêtres, médecins, avocats, juges, administrateurs, associés pour veiller à la santé, au salut, aux intérêts de cette foule sans nom que le poète appelle ignobile vulgus, et que les hommes d’État qualifient, selon les temps, le peuple souverain ou la vile multitude. Tout ce monde de mandarins ecclésiastiques et laïques était bien connu de Huarte, excellent observateur, à qui l’exercice de son art et l’expérience acquise par de nombreux voyages ne laissaient rien ignorer d’essentiel à la composition d’un ouvrage où la théorie scientifique, conforme par la méthode à la plus saine philosophie, aboutit à une réforme sociale dont le moyen serait la sélection des esprits, et dont le résultat devait être l’établissement de l’ordre dans la société refondue et régénérée.

Beaucoup d’admirateurs et de critiques de l’Examen n’ont vu que la théorie, ce qu’on appelle aujourd’hui la psychologie physiologique, et ont voulu faire de Huarte le prédécesseur de Lavater et de Gall, sans se souvenir de Cabanis ; ils ont laissé dans l’ombre le réformateur de la société de son temps, réformateur platonique sans doute, puisque sa réforme n’a point reçu la sanction de la pratique ; mais en somme réformateur hardi et clairvoyant, qui fit son devoir de médecin et de philosophe, en remontant aux causes du mal, et en indiquant les moyens de le traiter, suivant la méthode à la fois rationnelle et pratique, qui prescrit de conformer la thérapeutique à l’étiologie.

Il nous reste à montrer qu’étant parti d’un principe que ne sauraient ébranler toutes les objections adressées à la doctrine galénique des tempéraments et des humeurs, il en a déduit des conséquences positives et justes, dont le temps a démontré la vérité ; de sorte qu’en remontant de trois siècles en arrière, en le considérant dans son milieu, on ne trouve presque rien à redire à son étude de médecine sociale : d’où l’on peut conclure que ce rare esprit, ingénieux jusqu’à la subtilité, et parfois jusqu’au paradoxe, avait le sens droit de l’observateur et le tact du praticien. Le bon Guibelet, qui a doctement composé une longue réfutation de l’Examen, ne dit mot de la réforme capitale proposée et exposée par Huarte, théoricien subtil, mais accoutumé à voir les choses de près, ce qui lui a permis de les voir de haut et d’ensemble. C’est ainsi que les observateurs philosophes transforment les faits en idées.