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générale de sa doctrine de la sélection, et classait en conséquence les variétés de l’espèce groupées en nations, d’après la combinaison des éléments constituants, des qualités premières et des humeurs respectives ; attribuant logiquement la supériorité de tel ou tel groupe aux mêmes causes qui font la supériorité des individus, soit à la combinaison parfaite des forces vitales en proportions égales, ou à la prépondérance de l’une des trois facultés sur les deux autres. C’est ainsi que, sans se départir de la combinaison ternaire, il montre l’excellence de la race grecque, favorisée par un merveilleux concours de circonstances, et produisant beaucoup d’hommes illustres et vraiment supérieurs, par le juste équilibre de toutes les facultés de la nature humaine. Ces créatures accomplies, ces types achevés de l’humaine espèce, ces héros de la race, se trouvent encore, quoique beaucoup plus rares, en Italie ; laquelle, comme on sait, a donné au monde quelques-uns de ces hommes qu’on pourrait dire complets ; mais on n’en trouve guère en Espagne, sauf des exceptions rarissimes, une ou deux tout au plus, que lauteur désigne à mots couverts et par des allusions si obscures, qu’il est à peine permis de risquer des conjectures. Peut-être pensait-il au prince régnant, comme on pourrait le supposer d’après certain portrait physique de cette merveille comparable au merle blanc. Mais puisqu’il a poussé la discrétion jusqu’à dérouter les conjectures, on ne saurait sans témérité lui attribuer une flagornerie indigne de son caractère indépendant.

Si Huarte refuse à l’Espagne l’honneur de s’asseoir au premier rang, entre la Grèce et l’Italie, en revanche, il fait aux Espagnols un compliment qui, s’il était sincère, donnerait raison au vieil adage malveillant, que nul n’est prophète dans son pays ; car, s’il a écrit ce qu’il pensait, Huarte s’est trompé lourdement, et sur le présent et sur l’avenir ; ce qu’il est malaisé de croire d’un esprit aussi fin et pénétrant, rompu à l’observation, et qui observait en Espagne. Quoi qu’il en soit, son opinion sur les Espagnols ne laisse pas de paiaitre étrange à première vue. C’est, dit-il, en termes très précis, l’intelligence qui prédomine chez eux ; et c’est justement de cette prépondérance de Tintelligence sur les deux autres facultés que vient leur grande et manifeste infériorité dans tous les genres de connaissances qui s’acquièrent plus spécialement par l’imagination et par la mémoire. Et tout en développant la proposition, en défense de sa thèse générale, il les dépouille des aptitudes les plus nécessaires à la vie individuelle et à la vie collective, en les rendant forcément tiibutaires des autres nations, qui, dès ce temps-là, il le faut reconnaître, envoyaient en Espagne des produits et des denrées exotiques.