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j.-m. guardia. — philosophes espagnols (j. huarte)

littérature espagnole, encombrée d’auteurs en tous genres, condamnés à résoudre ce problème d’écrire sans penser, et qui s’en tirent comme ils peuvent, les uns par des figures et des images extravagantes, les autres en se payant de mots creux et de phrases redondantes ; les uns burlesques, les autres graves, et presque tous brouillés à mort avec le sens commun. Montesquieu ne croyait pas dire si juste, en écrivant cette boutade : « Les Espagnols n’ont qu’un bon livre, et c’est celui qui fait voir le ridicule de tous les autres » ; la folie vaudrait mieux. Le fait est que s’il y a encore quelque chose avant Cervantes, il n’y a plus rien après.

Il semble que le génie national suive la même pente que la dynastie, laquelle brille d’un incomparable éclat avec l’épileptique Charles-Quint, et finit par un imbécile, surnommé l’Ensorcelé. Non moins ensorcelée était l’Espagne, et non par défaut d’exorcistes. Notons en passant que cette terre classique de l’aliénation mentale n’a pas produit un seul médecin aliéniste de renom.

Huarte, qui a dû mourir sous le règne de Philippe III, n’eut pas le chagrin d’assister à la dégénération prodigieuse de la dynastie et de la race ; mais il était clairvoyant ; et l’on s’étonne qu’il ait pu se faire illusion sur l’avenir, en considérant ce qu’il a dit de l’Espagne intellectuelle. Parmi les peuples les mieux doués, il compte les Grecs, les Italiens, les Espagnols, les Français, accordant la primauté aux races du Midi et de la zone tempérée, tandis que les peuples du Nord sont exclus de cette élite de l’humanité, à cause des influences climatériques des régions froides, qu’il estime peu compatibles avec les qualités dont les combinaisons diverses produisent les talents, ou du moins les aptitudes heureuses. Sans insister ici sur la théorie des agents extérieurs, peu différente au fond de celles d’Hippocrate et d’Aristote, qu’il adopte, sans les exagérations de Montesquieu, et qu’il modifie habilement en faisant une place plus large au régime, il convient de remarquer une tendance singulière à confondre les habitants du Nord avec les Barbares ; tendance si nettement accusée en certains endroits, qu’on pourrait croire qu’il regardait le soleil, la chaleur, la lumière, et les autres excitants naturels de la vie organique, comme les conditions essentielles de la haute culture des races civilisées. Et de fait, la Palestine, la Grèce et l’Italie sont à ses yeux les terres classiques de l’humanité policée, dont les traditions se retrouvent chez les peuples novo-latins du Midi, y compris la France, dont la ville capitale est, dit-il, une nouvelle Athènes.

Il reconnaissait donc une hégémonie de race et de culture étroitement liée à l’action des milieux, par une application à l’histoire