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d’écrire cet ouvrage qui subordonne toute la psychologie à ce qu’il est permis d’appeler le fatalisme de la chair, aux circonstances extérieures et intérieures qui font le tempérament. Tout bien pesé, l’Inquisition y a vu plus loin que les déclamateurs qui s’indignent de ses poursuites. Une preuve certaine de sa clairvoyance, c’est que jusqu’en plein xviiie siècle, ce livre dangereux a été surveillé de très près, ainsi que le montrent les éditions successives de la congrégation de l’Index. Or, tous les ouvrages expurgés par cette congrégation étaient entachés d’hétérodoxie. L’Examen a été soumis à la plus minutieuse censure ; les notes hors texte, les plus inoffensives en apparence, ont été impitoyablement biffées, raturées, comme si les censeurs avaient senti que jamais l’auteur n’est plus suspect, qu’alors qu’il entreprend de concilier deux choses incompatibles, la réalité et la révélation. Or, Huarte excelle à rapprocher le réel et le surnaturel, de manière qu’ils soient bien en contraste : méthode perfide et bien plus funeste à la religion que celle qui déclare ouvertement la guerre à l’infâme pour l’écraser.

Rien de plus contraire à la grâce que la nature interprétée par la science. Tout auteur qui fait penser en pensant avec originalité sur l’homme physique et moral, aiguise l’esprit et trouble la conscience du lecteur. Aussi les inquisiteurs de la foi ne se souciaient point de voir mettre en pratique le conseil que donne Huarte au législateur, de ne permettre d’imprimer que les ouvrages renfermant des choses neuves et originales ; et bien que ce conseil ait été suivi à la lettre et consigné dans un des monstrueux recueils de lois connus sous le titre de Leyes de nueva recopilacion, on peut assurer que la loi ne fut jamais appliquée. Aucun privilège ou permis d’imprimer n’était déhvré par le gouvernement, sans la censure préalable de l’autorité ecclésiastique, laquelle faisait sévèrement la police des esprits et ne laissait passer que ce qui se trouvait de tout point conforme au dogme catholique.

Ni la science, ni la vérité ne trouvent leur compte à suivre ce régime d’abstinence. Les savants espagnols sont des mythes éclos dans la cervelle des patriotes qui voudraient bien que l’on crût à la réalité de la science espagnole. Sans liberté, la pensée dépérit. En revanche, le perpétuel carême imposé aux savants favorisa singulièrement ce carnaval littéraire, qui fut comme la soupape de sûreté par laquelle s’écoula tout le génie de la race. De là cette fécondité stérile qui épouvante le consciencieux bibliographe, et qui met à l’aise l’historien des lettres espagnoles. En effet, il ne se peut rien de plus vide, de plus profondément creux que cette mine inépuisable de la