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j.-m. guardia. — philosophes espagnols (j. huarte)

tème qui concentre au cerveau toutes les forces vives de l’organisme ; de telle sorte que le sentiment vital, sous n’importe quelle forme, n’est pas moins nécessaire que la nutrition, propriété fondamentale de tout être vivant. Quant à la conscience, elle est la vie même dans certains états, et un cas de la sensibilité ; et d’ailleurs, il est possible de penser et, à plus forte raison, de vivre sans se connaître, comme il arrive à un nombre infini d’êtres vivants, et même d’êtres humains, dont les trois quarts pensent sans le savoir, exactement comme les organes qui remplissent leurs fonctions sans en avoir conscience. Il n’eût pas été moins inconséquent en faisant de la volonté ce qu’elle n’est point, une faculté de l’âme. La volonté n’est en somme que le pouvoir virtuel d’agir, la cause prochaine de l’activité, le commencement de l’action. Or, dans ce système de psychologie organique, la volonté n’est que la résultante des impulsions de la chair ou du tempérament ; soumise par conséquent à toutes les influences extérieures et héréditaires, de climat et de race, qui ont un caractère de permanence relative, et à l’action plus variable du régime, puissant modificateur de l’organisme vivant et de la vitalité.

Les organes crient plus haut que l’impératif catégorique du rationaliste Kant ; sic natura jubet, comme dit le poète, et l’organisme fait écho. Suivez la nature, répètent Épicure et Zenon, justifiant le mot profond que la nature et la sagesse parient la même langue. Or c’est d’un philosophe naturaliste qu’il s’agit, et non d’un de ces psychologues qui substituent la volonté au déterminisme, en répétant les lieux communs de l’historien Salluste, qui était décidément un piètre philosophe. La volonté, telle que l’entend l’École, ne va pas sans la liberté, autre fiction de même provenance, qui serait la négation de la nécessité, de la réalité, le contraire de ce qui est. Le libre arbitre, pure métaphore, ne peut rien contre le fatalisme qui domine toutes choses, l’organique aussi bien que l’inorganique. Comprendre ces lois fatales de l’ordre général, et s’y soumettre, c’est tout ce que peut faire le philosophe ; et c’est ainsi qu’il se conforme à la nature, et non en y substituant les fictions convenues. La conscience est intermittente, même à l’état sain, tandis que l’inconscient ne cesse qu’avec l’organisme vivant. Pascal a beau se fâcher, c’est la vie inconsciente qui domine la vie consciente.

Ce n’est qu’en des phrases incidentes ou dans quelques notes que Huarte dit un mot en passant du libre arbitre. S’il y avait cru, l’Inquisition aurait laissé circuler son livre sans y toucher ; mais les fins douaniers du Saint-Office ne se laissaient point piper aux fausses étiquettes d’un auteur qui faisait la contrebande, et ils éventraient le ballot. Avec la volonté et la liberté classiques, il n’y avait pas lieu