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j.-m. guardia. — philosophes espagnols (j. huarte)

qui prétendent que leur doctrine s’impose par l’évidence, comme la lumière du soleil. Il sait trop bien ce que vaut la certitude humaine pour aller se joindre sur les hauteurs au groupe des Jacobins de la pensée, dont les convictions ardentes prouvent qu’ils sont encore plus près de la foi que de la raison. La philosophie compte un assez grand nombre de ces doctrinaires impérieux, qui, avec toutes leurs prétentions hautaines, ne sont au fond que des esprits bornés, sans compter ceux qui philosophent en vrais pédants, comme des maîtres d’école, insatiables d’autorité. Aussi ce philosophe-physiologiste ne prend-il jamais le ton d’un prédicant ou d’un catéchiste ; il n’a point de tirades à effet ; il ne s’indigne point à froid ; et quoiqu’il ait de belles pages, d’une forte éloquence, il n’a rien absolument du rhéteur et du sophiste. Il n’a pas même les défauts que pouvait développer, par réaction, le milieu social où il vivait, milieu profondément perverti, corrompu mentalement et moralement, envahi dès lors par le double fléau de la déraison dans les lettres et de l’hypocrisie dans la religion. De l’absence de ces vices de l’esprit et du cœur, il est permis de conclure que ce pénétrant observateur possédait la sérénité du sage, qui se résigne sans dépit au spectacle tel quel de la réalité, plus porté à s’égayer doucement qu’à se fâcher en pure perte, en contemplant les sottises humaines et les iniquités de l’ordre social.

Pour un réformateur qui vivait dans un pays d’inquisition et de despotisme, il y a quelque mérite à s’être préservé des maladies épidémiques de son temps : le mysticisme, le casuisme, le fanatisme, et ce pédantisme scolastique qui régnait dans les universités, et qui gâtait trop souvent les meilleurs esprits. Voilà donc un docteur comme on n’en voyait guère alors : simple, modeste, naturel et charmant ; car ce traité de la sélection des esprits n’a point du tout les allures d’un de ces gros ouvrages didactiques et techniques, qui réclamaient les honneurs des pesants formats in-folio ou in-quarto, à l’usage des docteurs graves. Bien peu de ces lourds volumes sont arrivés à destination, tout auteur visant à la postérité, tandis que* les tout petits ont traversé les siècles. Quand on écrit pour être lu, il faut écrire pour tout le monde, et concentrer sa pensée, tout en la rendant claire. Il n’est point de système fortement conçu qui ne puisse tenir en un modeste volume. Aux compilateurs prolixes les gros tomes et l’ennui mortel qu’ils renferment. En écrivant pour quiconque savait hre, en une langue pure, nette, alerte et sobre, avec gaieté et bonne humeur, Huarte se proposait évidemment d’être utile à la société en général, et plus particulièrement aux ayants charge d’âmes, aux classes dirigeantes d’alors : hommes d’État et de gou-