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Galien logeait les facultés dans les quatre ventricules de l’encéphale, comme pour combler ces vides de l’organe psychique. Huarte a senti l’inconséquence de cette distribution : les ventricules sont au nombre de quatre, et il n’y a que trois facultés ; donc symétrie impossible entre pair et impair. Sans aller jusqu’à l’invention de Descartes, qui emprisonne l’âme, substance pure, non étendue, dans la glande pinéale, comme pour s’assurer de son existence, il n’ose pas localiser les facultés, se bornant à les placer dans la tête, sans déterminer leur résidence, les laissant libres de se mouvoir dans l’organe cérébral, mais sans les séparer, les rendant solidaires sans les déclarer indépendantes, les concevant, en d’autres termes, comme une trinité indissoluble ; ce qui semble montrer son éloignement pour la manière de voir des vitalistes, qui admettent trois éléments de la nature humaine, et pour celle des animistes qui n’en reconnaissent que deux. En somme, ni trinitaire, ni dualiste. Il est unitaire, et toutes les fois qu’il parle des trois âmes de Platon, il laisse assez voir que ces trois manifestations de la vitalité ne sont que les degrés superposés d’un principe unique. Ce principe n’est pas autre que la vie organique, dont les phénomènes sont en raison de l’état des organes, modifiables par divers agents, soit extérieurs, soit intérieurs, et sujets à subir mille influences. Il se plaît à montrer la diversité des jugements que font les hommes, suivant la différence de leurs tempéraments, et les illusions des sens, par exemple, de la vue, dont les sensations dépendent de l’état des membranes ou des milieux réfringents de l’œil, instrument de la vision. L’œil enflammé voit autrement que l’œil sain ; une gouttelette de bile suffit pour faire paraître jaunes les objets ; et le moindre épanchement de sang les montre rouges. Ainsi du goût, de l’odorat, de l’ouïe, du toucher, qui est le sens fondamental et rectificateur.

On conçoit aisément tout ce que doivent inspirer à un sceptique des considérations de cet ordre. Rappelant à propos le mot attribué au philosophe-naturaliste Démocrite, que l’homme, du commencement à la fin, n’est que maladie, il remarque avec finesse que les lecteurs qui jugeront son ouvrage, chacun à sa manière, sont peut-être malades, comme l’est sans doute l’auteur lui-même. À ceux qui voient les choses comme elles sont, il paraît difficile d’établir un critère pour la connaissance de la vérité, et ils inclinent vers ce scepticisme raisonné, qui conseille la modestie pour soi-même, et l’indulgence pour les autres. Pour entrer dans les vues de l’auteur, son tempérament de philosophe ne le portait point au dogmatisme ; il n’inclinait point du tout à l’infaillibilité, à l’intolérance, au prosélytisme. Ce n’est point, loin de là, un de ces novateurs fanatiques,