Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XXX.djvu/277

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
267
j.-m. guardia. — philosophes espagnols (j. huarte)

ments, originaire de l’Inde et de l’Égypte, arrangée et embellie par les Grecs avec un vrai génie, ayant toutes les apparences de la science la plus solide. Aussi fut-elle construite laborieusement par ces savants encyclopédistes qui fondèrent la philosophie grecque, sous le nom de physiciens ou de physiologues, parce qu’ils voulaient expliquer la nature. Tous y mirent la inain, depuis les maîtres de l’école ionienne jusqu’aux derniers disciples de Pythagore. Empédocle, philosophe, médecin et poète, passe pour avoir définitivement assis sur sa base quadrangulaire cette haute pyramide qui a défié près de vingt-cinq siècles les outrages du temps. C’est une belle durée pour une œuvre humaine. Les éléments remontent aux prêtres, les qualités premières aux philosophes, les humeurs aux médecins ; de sorte que dans cet édifice à trois étages, on trouve l’empreinte profonde des trois corporations qui ont le plus efficacement agi sur les hommes, par la foi, par l’intelligence et par la bienfaisance. En peu de mots, ce sont les médecins du corps et de l’âme qui ont coopéré à ce chef-d’œuvre de la cosmogonie et de la physiologie antiques, qu’on ne peut se défendre d’admirer.

Quoiqu’il soit difficile d’imaginer ce que Huarte pensait au juste de cette trilogie quaternaire, il convient de remarquer, à son honneur, qu’il n’avait point la superstition des chiffres, comme le divin Hippocrate, qui se laissa leurrer par la théorie pythagoricienne des nombres, suivant la critique de Celse, qui lui reproche justement son erreur. Des quatre éléments il dit fort peu de chose ; il élimine, ou peu s’en faut, le froid, que Broussais appelait l’ennemi de la vie, se bornant à combiner le chaud, le sec et l’humide, soit en proportions différentes, soit en une harmonie parfaite ; opérant de même sur les humeurs, par l’exclusion de la pituite ; de sorte que le sang, la bile jaune et la bile noire sont les trois ingrédients essentiels de la chimie vivante. Ce parti pris d’élimination montre assez qu’il n’était pas superstitieusement rivé au dogme, et qu’il n’en prenait que ce qui pouvait servir utilement à l’exposition de ses idées. Après cela, il se peut aussi que ce double retranchement ait eu pour objet de mettre en parfaite symétrie les qualités premières et les humeurs avec les trois facultés classiques, l’intelligence, l’imagination et la mémoire ; car il n’en admet point d’autres, simplifiant autant qu’il lui est permis, et n’ayant pas plus de goût pour les entités fictives que son prédécesseur Gomez Pereira, adversaire résolu des réalistes. Il est vraiment singulier que des esprits essentiellement ingénieux se montrent aussi réfractaires aux conceptions mythiques. Il faut croire que la raison positive était chez eux prépondérante. C’est par là que les vrais philosophes diffèrent des rêveurs et des visionnaires.