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tent l’esprit humain dans son pèlerinage au puits de la vérité. Chaque pèlerin a son bourdon et ses coquilles ; tous les pas tendent au même but. Le chemin est étroit et malaisé ; plus d’un explorateur y a péri.

À une époque où la médecine philosophique renaissait à grand’peine, après une longue éclipse, la simple prudence, à défaut de la modestie, conseillait aux têtes pensantes de prendre les couleurs d’un de ces maîtres en l’art de penser dont l’autorité se trouvait bien assise. Ce n’est point sans raison que les coryphées de la médecine et de la philosophie furent choisis comme patrons par l’élite des médecins et des philosophes. Depuis que la Renaissance avait remis les Arabes à leur rang, les Grecs illustres, grandissant tous les jours dans l’opinion des doctes, furent bientôt considérés comme des héros, comme des saints, parés du nimbe et de l’auréole. Les philosophes étaient platoniciens ou aristotéliciens ; les médecins, hippocratistes ou galénistes. Épicure, deviné seulement à travers Lucrèce, ne fut bien connu et un peu réhabilité qu’avec P. Gassendi. Zenon n’était abordable aux profanes que par Sénèque, Epictète et Marc-Aurèle, en attendant Juste-Lipse, absorbé d’ailleurs en grande partie par le christianisme. Le scepticisme était, comme on dit, dans l’air, mais peu connu dans ses sources pures. Sextus Empirions est un écrivain prolixe et peu aimable, qui attend encore un digne interprète de son encyclopédie sceptique. On sait qu’il était médecin : ses deux ouvrages renferment des choses curieuses sur les rapports de la médecine et de la philosophie. Les autres sectes philosophiques de la médecine n’étaient connues que de nom. Qui aurait pu dire alors en quoi consistait le pneumatisme, encore assez mal connu présentement, et considéré, peut-être à tort, comme dérivé de la doctrine stoïcienne ? Asclépiade n’avait pas plus de réalité qu’un mythe, et l’histoire de la médecine méthodiste, qui remonte jusqu’à lui par son disciple Thémison, attendait encore Prosper Alpin, qui en a écrit un livre mémorable (en 1611). L’éclectisme ne convenait qu’aux esprits du genre neutre. Puisqu’il fallait opter entre les opinions reçues, il y avait tout avantage à suivre la plus ancienne, la plus autorisée, la plus solide et la plus grave en ce temps-là des doctrines médico-philosophiques ; la plus répandue parmi les philosophes et les médecins ; la plus régulière et la plus symétrique, et dont la longue durée semblait garantir l’avenir. Il a fallu l’analyse chimique et la réhabilitation des solides de l’économie animale, pour renverser cette antique et imposante construction, dont les ruines ne sont pas tout à fait disparues : le langage usuel conserve encore l’empreinte des vieilles théories humorales.

Rien ne serait plus curieux que l’histoire de la doctrine des élé-