Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XXX.djvu/275

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
265
j.-m. guardia. — philosophes espagnols (j. huarte)

sonne du Christ, Huarte prétendait faire connaître l’homme, et non le dieu, qui lui était suspect.

Ce qui résulte clairement de ces exemples d’exégèse physiologique, c’est que Huarte, qui éliminait l’âme de la science de l’homme, en éliminait aussi la divinité. Nominaliste pur, comme Gomez Pereira, il ne se payait point de mots et n’abusait point des hypothèses. C’est un païen qui ne croit pas aux dieux. Il vit, mentalement, de la tradition hébraïque et grecque ; il ne doit rien aux Arabes ; il s’est abreuvé aux bonnes sources, sans s’arrêter au troupeau servile des commentateurs ; il ne rappelle en rien les scolastiques, qui régnaient encore dans les écoles, avec l’autorité ombrageuse du pédantisme. De son temps et de son milieu il n’emprunte que des observations, car il était de ceux qui amassent des faits pour élaborer des idées ; et tout ce qu’il rapporte prouve qu’il avait beaucoup vu et retenu dans ses excursions à travers l’Espagne. Médecin périodeute, il avait nourri son esprit et meublé sa mémoire. Il ne dédaigne point les anecdotes, voire les historiettes qui peuvent contribuer à rendre son exposition plus nette et plus agréable ; et il se distingue de la majorité des médecins contemporains, ses compatriotes, par l’attention qu’il accorde aux maladies mentales, dont il rapporte, fort à propos, des cas très curieux, presque tous observés par lui-même. Ce qui le distingue de ses confrères, c’est qu’en un siècle d’érudition exubérante, il n’abuse ni des vieux textes ni des citations classiques, quoique sa forte tête fût bien meublée ; et la preuve en est que ses souvenirs de l’antiquité sacrée et profane émaillent agréablement sa doctrine. Il excelle à choisir les passages qui confirment ses idées, et qui servent à la fois d’ornement et de preuve. C’est un savant et très aimable artiste, qui ne sent pas du tout l’école. Ce qui paraît certain, c’est qu’il n’a point subi l’influence d’aucun livre, d’aucune doctrine moderne. On pourrait le croire autodidacte, tant il est sobre d’allusions à ses études et à ses maîtres. Il était d’un esprit trop indépendant et original pour avoir gardé l’empreinte de cet enseignement banal des écoles qui suffît aux intelligences du commun. Il philosophait à part, avec les maîtres de l’art et de la pensée, Hippocrate et Galien, Platon et Aristote, sans obséquiosité servile comme sans insolence, tout en puisant dans la lecture de la Bible de quoi nourrir sa curiosité et son scepticisme ; car il était sceptique en dépit de son adhésion à la philosophie des éléments, des qualités premières et des humeurs correspondantes.

On ne philosophe point sans théorie ; c’est par elle que s’élèvent et s’écroulent les systèmes, ces constructions provisoires qui abri-