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j.-m. guardia. — philosophes espagnols (j. huarte)

l’autre monde les effets de la température des lieux ; si bien que les âmes des damnés et celles des bienheureux diffèrent surtout par le climat de l’Enfer et du Paradis. Cette théologie physique et physiologique ne pouvait agréer aux inquisiteurs de la foi. Au travers de son masque orthodoxe ils dévisagèrent l’impie, malgré les autorités sacrées qu’il allègue. Huarte ne procède pas autrement que Gomez Pereira, lequel, matérialiste et athée, renouvelant en médecine et en philosophie les doctrines d’Épicure et de Lucrèce, qu’il ne nomme jamais, invoque dévotement le Christ et la sainte Vierge, et trouve des protecteurs parmi les princes de l’Église et sur les marches du trône. Huarte termine aussi son livre par une formule latine à la louange de Jésus, et il l’émaille de nombreuses citations de la Bible qui attestent le savoir d’un rabbin, et qu’il fait adroitement servir à la démonstration de sa thèse favorite de la prépondérance des organes sur l’âme, de la subordination, de l’assujettissement de l’âme au corps. S’il n’était pas juif, il méritait de l’être par ses tendances évidentes vers le concret et la négation de l’âme. On peut dire qu’il reconnaissait l’âme, comme Galilée reconnaissait l’immobilité de la terre. Il fait tout ce que lui suggère son génie inventif et subtil pour éliminer de la science de l’homme cette entité par laquelle la philosophie fut ramenée à la théologie, grâce au platonisme et au cartésianisme, qui se donnent la main par-dessus la scolastique chrétienne. C’est avec une complaisance visible qu’il allègue les textes de Galien qui démolissent, non sans les tourner en ridicule, les constructions poétiques du mystique Platon. Son dessein n’est pas douteux ; ses tendances sont très nettes. Toute sa doctrine a pour fondement l’opuscule admirable de Galien, dont le titre est d’une clarté lumineuse, à savoir que c’est le physique qui détermine le moral. En d’autres termes, suivant le texte grec, ce les mœurs suivent le tempérament » ; ce qui signifie que la sensibilité, le caractère, la volonté, la raison, l’activité, la personnalité telle que l’entend le vulgaire des philosophes, sont conformes à l’organisme et sous sa dépendance. Cabanis, malgré sa généalogie philosophique, n’est pas à beaucoup près aussi explicite dans le titre collectif de ses onze mémoires sur les « rapports du physique et du moral », où se trouve d’ailleurs la pure doctrine de Locke sur l’homme sensible et pensant.

Le plus original de l’ingénieux commentaire de Huarte sur le traité médico-psychologique de Galien, c’est moins cette sélection des esprits, dont l’invention lui appartient sans conteste, que la méthode d’investigation, de démonstration et d’exposition qu’il a suivie d’un bout à l’autre. Il a fait exactement ce que devait faire après lui le grammairien-philosophe Francisco Sanchez, en appliquant à l’inter-