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j.-m. guardia. — philosophes espagnols (j. huarte)

tillan. Quant aux ouvrages écrits en latin, comme ils n’étaient accessibles qu’à la minorité des lecteurs, leur influence était restreinte en dehors des écoles et du public compétent. Rarement les traités techniques renferment des vues hardies et des propositions dangereuses : n’intéressant que les gens du métier, ils peuvent tout au plus agiter les corporations savantes, dont l’agitation ne saurait troubler les vigilants gardiens de l’orthodoxie, attendu que les écoles ne sauraient alarmer le pouvoir lorsqu’elles ne se passionnent que pour les matières qui sont uniquement de leur ressort. L’autorité, d’ailleurs, était bien tranquille sur les dispositions des centres universitaires, non seulement parce que les chanoines de ces églises laïques tenaient avant tout à conserver leurs prébendes ; mais encore parce qu’on n’était admis à les occuper qu’après avoir prouvé que la foi absolue aux articles du dogme passait avant la science, et même avant le savoir, qui est beaucoup moins rare. En outre, par esprit de corps, autant que par conviction, nombre de ces prébendes faisaient la police des consciences, avec un zèle et une âpreté qui dépassaient trop souvent la vigilance des familiers du Saint-Office de l’Inquisition. Ces limiers bénévoles avaient la vocation. Combien de procès scandaleux prirent naissance dans les universités, et particulièrement dans les écoles de théologie, où les rivalités scolaires et les haines de couvent suscitaient des dénonciations anonymes et des persécutions atroces ! Faut-il rappeler la cause intentée à Fray Luis de Léon, l’humiliation infligée à l’archevêque de Tolède, Garranza, le second procès du grammairien Sanchez, qui mourut entre les griffes des inquisiteurs ? Si les médecins eurent moins à souffrir de cette loi des suspects, suspendue sur toutes les têtes, c’est que par leur profession même ils se recommandaient à la haute Église, respectueuse de leur popularité, soit parce que les médecins du corps et ceux de l’âme s’entendaient à merveille en ce temps-là, soit encore parce que le respect de la tradition et de l’autorité était inhérent au métier ; de sorte qu’en admettant comme un dogme l’infaillibilité d’Hippocrate, de Galien et d’Avicenne, on était tout porté à recevoir celle de l’Église et de son chef. Aussi dans tous les cas de médecine légale, où la théologie intervenait de droit, les casuistes de l’art concluaient toujours conformément au dogme, comme le font encore les médecins qui reçoivent le mot d’ordre de Rome, à moins qu’ils ne s’abstinssent prudemment. Ajoutons que la médecine et la casuistique se ressemblaient fort : le diagnostic étant peu certain, le pronostic se rapprochait assez de la divination ; de sorte que dans les choses de la santé, on procédait à peu près comme dans les affaires du salut. L’important était que les malades eussent la foi, comme les