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g. fonsegrive. — l’homogénéité morale

ne peut me contester ces deux faits, j’ai le droit de parler de la vertu bienfaisante de l’humiliation.

Humiliés pour nous être laissés emporter à l’élan de nos tendances sentimentales, nous devenons plus défiants, nous nous habituons à les réfréner, à les retenir sous l’œil de la conscience, donnant ainsi à la raison le temps d’intervenir, de réduire les tendances hétérogènes et de ne laisser arriver à la réalisation que celles qui ne risquent pas de troubler l’homogénéité de la vie.

V

Tout est maintenant préparé pour la construction de l’homogénéité définitive. Le terrain est aplani et l’édifice peut s’élever.

Il faut avant tout définir en quoi consiste essentiellement cette homogénéité. L’homme ne peut conquérir son homogénéité morale qu’à la condition que ses actes réalisent la plénitude de son essence.

Avant donc de se mettre à l’œuvre, l’éducateur ou celui qui veut être à soi-même son propre réformateur doit donner une réponse à cette question : Quelle est la définition de l’homme ? Toute éducation morale qui ne débute pas par là est une éducation manquée. Vous voulez former un homme. Avant tout il faut que vous sachiez ce que c’est qu’un homme. Il faut savoir ce qu’on veut faire avant de le faire.

Ainsi sont immédiatement rejetées toutes les formules qui sont évidemment incomplètes ou inexactes. Dire avec les cyrénaïques que le plaisir immédiat constitue la vertu, c’est réduire l’homme aux plus inférieurs des animaux ; dire avec les utilitaires que l’intérêt est toujours d’accord avec la vertu, c’est ne considérer en l’homme que la sensibilité ; dire avec les panthéistes que l’homme doit prendre conscience de son éternité et se faire dieu, c’est élever l’homme au-dessus de ce qu’il est et négliger en lui ce qu’il a d’imparfait et de borné ; dire avec les kantiens que l’homme ne doit obéir au devoir que par devoir, sans raison et sans désir, c’est supprimer de l’homme à la fois la sensibilité et la raison. Toutes ces formules se heurtent à des impossibilités évidentes ; elles ne peuvent aboutir à fonder une véritable homogénéité. Réduisant ou excédant l’essence de l’homme, ou elles sont nécessairement dépassées ou elles demeurent nécessairement, elles laissent donc subsister le divorce de l’homme avec lui-même, l’hétérogénéité ruineuse de la morale.

De toute façon il faut vivre en homme. Pour savoir faire ce qui est de l’homme il faut savoir ce que c’est que l’homme. Mais pour le