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abdiqué, n’ose plus recourir à la persécution ouverte et violente.

Aujourd’hui les philosophes se rapprochent des médecins, et les médecins des philosophes ; et il se peut que ce retour de part et d’autre à l’antique tradition produise un grand bien. Aussi serait-il temps que les médecins, dont la presque totalité ne considère l’histoire de l’art qu’à titre de curiosité de luxe, montrassent aux philosophes que la médecine et la philosophie ne peuvent que gagner à contracter alliance. Il suffirait, selon le vœu d’un ancien, de faire entrer l’une dans l’autre, comme au temps reculé où la philosophie était l’apanage des savants qui, sous le nom de physiciens, spéculaient sur la nature des choses. Séparées durant des siècles par la théologie, qui divisait pour régner, elles doivent s’associer. Qui oserait aujourd’hui écrire un mémoire académique sur la légitimité de leur séparation ? Souhaiterque les médecins deviennent philosophes, et les philosophes médecins, est un vœu moins chimérique que celui de Platon qui voulait mettre la philosophie sur le trône. Il n’y a eu qu’un Marc-Aurèle et un Julien pour représenter la haute sagesse dans le gouvernement des peuples, tandis qu’on pourrait nommera la rigueur une douzaine de médecins philosophes et une demi-douzaine de philosophes médecins. Ce n’est guère en apparence, et c’est beaucoup, si l’on songe à l’énorme quantité de matière cérébrale que pétrit la nature, avant de pouvoir former une tôte pensante.

Huarte fut une de ces rares têtes qui pensent de manière à faire penser quiconque est capable de cet exercice cérébral ; de sorte qu’il a droit à des égards, ne serait-ce que pour avoir honoré notre pauvre espèce, qui se compose d’animaux si peu raisonnables, en dépit de la définition classique. Ce fut sur les bancs de l’école qu’il commença cette longue et curieuse série d’observations qui devaient lui inspirer l’ouvrage singulier, dont le titre indique parfaitement l’esprit et la portée. Ce qu’il appelait l’Examen des aptitudes pour les sciences, c’est la sélection des esprits, comme on dit aujourd’hui où l’on voit assez souvent de vieilles choses reparaître sous des noms nouveaux ; car il en est de la science comme de la politique : ordinairement c’est l’étiquette qui change, ou l’enseigne de la boutique, avec le nouveau marchand qui l’exploite. Les noms tiennent infiniment plus de place que les choses en ce nionde, et de tout temps il en fut ainsi. Huarte se mit donc à penser à un âge où l’inconscient l’emporte de beaucoup sur le conscient ; et, de réflexion en réflexion, il parvint à établir une doctrine dont les fondations ont résisté à l’usure des siècles. Il fit ses études avec deux camarades, dont l’un brilla surtout dans les classes de latinité, tandis que l’autre se distin-