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j.-m. guardia. — philosophes espagnols (j. huarte)

déduit toutes les conséquences, produisant des preuves à l’appui de sa manière de voir. La conception de son sujet est telle, qu’étant parti de l’observation des faits, il y revient, suivant une méthode complexe dont les médecins sont coutumiers, depuis Hippocrate, ou le médecin grec qui a posé ces deux aphorismes : « C’est le traitement qui révèle la nature des maladies ; — il faut traiter les maladies en en considérant les ressemblances et les différences ». Ces deux axiomes signifient, le premier que la thérapeutique et l’étiologie sont corrélatives ; le second, que l’art de traiter les maladies n’existe que par la méthode comparative. C’est par là que l’expérience se distingue de l’empirisme, et l’observation, de la routine ; de sorte que le vrai médecin ne se contente pas de voir et de savoir ; il doit encore raisonner, comparer, juger, induire le plus souvent, et déduire quand il le faut, en se fiant plutôt à l’induction qui conclut, qu’à la déduction qui démontre. Il lui suffit que la subtilité du raisonnement ne l’égaré pas jusqu’au point de le faire passer à côté ou au delà de la vérité. L’essentiel est que le réel le conduise au vrai, et qu’il ne cesse de voir les choses comme elles sont, en realidad de verdad, selon la formule même de Huarte, tant de fois répétée par Cervantes : elle est d’une brièveté lumineuse.

La médecine philosophique de l’antiquité proclamait et suivait ces principes de la philosophie naturelle ; et c’est avec raison qu’un des maîtres illustres de l’ancienne école de Montpellier avait coutume de répéter dans ses leçons de clinique, que ce que Bacon a dit qu’il fallait faire, Hippocrate l’avait fait deux mille ans avant lui. Rien n’est plus vrai. Ce qui donne du prix aux recherches sur l’histoire de la médecine, comme disait Bordeu, qui s’y connaissait, c’est la tradition du bon sens, lequel, à travers les révolutions et les ruines, marque la voie du progrès, en associant à l’empirisme la méthode qui sans cesse ramène l’art à l’observation des principes tirés de l’expérience des siècles. Ceci soit dit, en passant, pour ces novateurs qui, fiers de leur ignorance, tournent le dos au passé, et recommencent inutilement ce qui est fait et acquis, faute d’avoir médité le truisme de Brid’oison, dans la comédie de Beaumarchais : « On est toujours fils de quelqu’un. » En vérité, on est honteux d’être obligé de rappeler cet adage aux partisans de vieilles nouveautés qui n’ont de nouveau que les noms. Ils oublient volontiers que rien ne se fait de rien, et que les morts dominent les vivants. Il faut donc compter avec l’histoire, et il n’est que juste de reconnaître la vaillance des athlètes de la raison, qui osèrent contredire l’erreur et le préjugé en des temps mauvais pour la pensée et infiniment plus difficiles que les nôtres, où l’intolérance, sans avoir entièrement