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j.-m. guardia. — philosophes espagnols (j. huarte)

espagnole, à la rage des persécuteurs ; et peut-être saurait-on aussi à quoi s’en tenir sur l’authenticité des éditions posthumes.

Comme rien ne doit être négligé dans la recherche de la vérité, nos lecteurs ne trouveront pas mauvais, qu’à défaut de détails biographiques, on insiste sur la nécessité d’une enquête bibliographique au sujet d’un livre capital dans l’histoire de la science de l’homme, Huarte fait grande figure parmi les philosophes naturalistes, à cause de la nouveauté hardie de ses vues originales et de l’excellence de sa méthode. En attendant que réparation soit faite en Espagne à ce médecin illustre, qui a eu pour admirateurs des juges compétents, tels que Bayle, Bordeu, Lessing, il peut être utile de rappeler la doctrine d’un auteur vieux de trois siècles, novateur courageux qui entreprit de philosopher sur la nature humaine, sans abandonner la tradition, sans faire table rase du passé, émancipant son esprit, singulièrement ingénieux et clairvoyant, jusqu’à braver l’opinion des doctes par des aperçus d’une haute portée, traits de génie pour ses admirateurs, paradoxes pour ses adversaires. Les uns et les autres n’ont pas mal jugé. Réformateur résolu et révolutionnaire pacifique, Huarte eut pour lui les hommes de progrès, et contre lui les conservateurs routiniers. Quand on le considère dans son milieu social, il apparaît comme un des rares précurseurs des philosophes qui ont fini par arracher la philosophie aux sectaires de la théologie et de la métaphysique, en cherchant le vrai dans la réalité. Deux siècles avant Cabanis, il fit un traité des rapports du physique et du moral qui témoigne encore de la bonté de ses principes et de l’excellence de sa méthode. Ses illusions et ses erreurs, qui étaient inévitables, prouvent en somme, qu’en dépit des ténèbres environnantes, il sut s’orienter et tendre hardiment vers la lumière. Et, ce qui est à son honneur, il philosopha sans fanatisme, sans étroitesse d’esprit, avec cette pointe de scepticisme qui convient aux amis de la vérité et aux disciples de la sagesse. S’il paya tribut à son temps, suivant une loi fatale, il fut du moins exempt de deux vices en quelque sorte obligatoires pour les savants d’alors, le pédantisme et l’intolérance[1].

  1. Un docte ami des lettres espagnoles, qu’il honore par ses écrits, M. R.-J. Cuervo, de Bogota, a bien voulu nous communiquer un précieux exemplaire de l’Examen, dont nous transcrivons exactement le titre :

    Examen / de ingenios / para las ciencias. / En el cual el Lector hallará la manera de su inge-/nio, para escoger la ciencia en que mas ha de apro-/vechar : y la diferencia de habilidades que ay / en los hombres, y el genero de letras / y artesque a cada uno res / ponde en particular. Compuesto por el Dotor Iuã Huarte de San / Juan. Agora nueuamente emendado por el mismo Autor, y añadidas muchas cosas / curiosas, y prouechosas. / Dirigido à la Cesarea Real Magestad