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j.-m. guardia. — philosophes espagnols (j. huarte)

Huesca, en Aragon, et exerça la médecine à Baeza, en Andalousie, puis à Linarès, non sans avoir voyagé dans la Péninsule. Voilà tout ce que l’on sait de sa vie, d’après la maigre notice de Nicolas Antonio. La date de la naissance et celle de sa mort sont également inconnues. Jusqu’ici l’Espagne n’a rien fait pour honorer la mémoire d’un auteur qui reste une de ses gloires les moins contestées : elle ne s’est mise en peine ni de sa personne, ni de son livre de l’Examen des esprits, qui, depuis plus de trois siècles qu’il a vu le jour, attend encore une édition critique, ou simplement correcte, autant dire, une réparation éclatante, puisque c’est aux persécutions du Saint-Office et aux mutilations de la congrégation de l’Index, que l’un des plus rares chefs-d’œuvre de la littérature espagnole nous est parvenu dans un état déplorable. Le succès fut prodigieux et durable, ainsi que l’attestent les nombreuses traductions faites à l’étranger, dont la dernière fut celle de Lessing, à la fin du xviiie siècle. À cette époque, l’ouvrage était devenu très rare en Espagne, d’après le témoignage du bénédictin Feijoo et de l’éditeur de Grenade, Nicolas Moreno, qui le réimprima en 1768. Une nouvelle édition fut publiée à Madrid, en 1846, par un jeune médecin plein de zèle, mais d’un esprit critique peu sévère, comme le prouve sa déférence pour les compilateurs laborieux de l’histoire de la médecine espagnole, Morejon et Chinchilla, dont l’admiration complaisante laisse peu de place au discernement. Cependant, il lui faut rendre cette justice, le Dr Ildefonso Martinez y Fernandez a compris ce qu’il y avait à faire pour reconstituer le texte de l’Examen et rendre à sa pureté la pensée de l’auteur : si imparfait qu’il soit, son essai de reconstitution est le seul qui ait été tenté jusqu’ici. Cet éditeur a senti le prix d’une bonne bibliographie de Huarte, mais il n’a guère ajouté à ce qu’on savait avant lui ; et ses conjectures n’ont pas élucidé une question qu’il faudrait résoudre pour savoir au juste comment la pensée originale de l’auteur fut successivement censurée, mutilée, torturée, remaniée et refondue. Pour fermer la bouche aux défenseurs de la censure ecclésiastique, encore nombreux en Espagne, il suffirait de faire l’histoire de ce livre hardi, dont l’économie se trouva à la fin entièrement changée, grâce à la vigilance des censeurs, qui obligèrent l’auteur à de pénibles sacrifices. Il fallut couper, retrancher, bouleverser l’ordre primitif, ajouter pour combler les lacunes, et porter la lumière dans ce chaos. L’auteur ne se découragea point, et pied à pied il défendit son œuvre contre les méfaits de la censure. Pour le suivre dans ce travail de défense et de réparation, il faudrait pouvoir confronter, comparer toutes les éditions, depuis la première qui paraît remonter à 1575, et selon d’autres à 1580, jusqu’à celle