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manœuvres et non des maîtres, lis doivent servir à édifier la vie humaine et non à eux seuls la constituer. Ils doivent être assouplis à servir, dociles aux ordres de la raison. Il faut donc résister à leurs tendances, s’habituer à ne les réaliser qu’après les avoir jugées à la lumière des idées, et pour cela il faut de toute nécessité se livrer à une gymnastique qui enlève à ces tendances en leur résistant, en les différant ou même en les supprimant, la fatalité de leur réalisation. Ainsi s’expliquent les jeûnes, les haires, les cilices, les privations, les interruptions de sommeil, les macérations de toute sorte. À un degré ou à un autre (le degré dépond, non de règles fixes, mais du sujet), on retrouve chez tout homme qui a voulu véritablement se posséder une gymnastique de ce genre destinée à dompter le personnage sensitif. Catilina, nous dit Salluste, s’était accoutumé à supporter la faim, la soif, toutes sortes de fatigues et de douleurs, pour être capable ensuite de faire tout ce qu’il voudrait. Que l’idéal de la vie soit la béatitude angélique ou le succès du strugle for lifer, on n’en réalisera aucun si l’on n’est pas capable de supporter la faim, la soif, le malaise et l’incommodité. Or, on ne peut s’en rendre capable qu’en s’y exerçant par une gymnastique appropriée. Prenons garde, sous prétexte d’hygiène, d’introduire la mollesse dans l’éducation. Toute commodité retranchée à l’éducation de l’enfant est une force ajoutée à la liberté de l’homme.

À son tour, le personnage sentimental devra subir des réductions. Le fond de ce personnage est l’amour-propre comme la sensualité est celui du personnage sensitif. De même donc que la douleur est l’élément réducteur du personnage sensitif, l’élément réducteur du personnage sentimental ne pourra être que le contraire de l’amour-propre, l’humiliation. De fins psychologues, qui étaient en même temps des moralistes indulgents, ont dit qu’il fallait, au contraire, éviter d’humilier les enfants, même quand on les punit, de peur de les dégrader à leurs propres yeux et de leur faire perdre ainsi tout ressort. Il y a Ià bien des confusions. Est-il possible d’abord de punir sans humilier ? N’est-il pas possible en outre d’humilier assez pour réduire l’amour-propre et pas assez pour enlever l’énergie ? N’est-il pas un peu chimérique de craindre une suppression complète de l’amour-propre ? L’amour-propre est bien fin et les êtres les plus abjects ont le leur. Ne mettons pas au compte de l’humiliation ce qui doit être attribué seulement à la lâcheté. Quoi qu’il en soit, d’ailleurs, et bien qu’ici comme en tout il faille garder la mesure, je demande s’il est possible de montrer à quelqu’un ses fautes sans l’humilier ; je vais plus loin, je demande si après une humiliation on ne sent pas plus vivement la nécessité de l’action réparatrice. Si on