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PHILOSOPHES ESPAGNOLS

J. HUARTE


L’art de déguiser sa pensée à l’aide de la métaphore et de la métonymie, particulièrement cultivé en Espagne, y fleurit encore. On pourrait croire que la presque totalité des auteurs espagnols a pris la devise de Philippe II, « dissimuler ». Sous la discipline du Saint-Office de l’inquisition, les figures de diction, qui ont les honneurs d’un chapitre à part dans les grammaires officielles, envahirent la langue ; et l’on écrivit moins pour être compris que pour laisser entrevoir et deviner sa pensée. Les institutions aidant, et les habitudes, et l’isolement, sans compter les aptitudes natives, les plus beaux esprits finirent par se brouiller avec la clarté ; et ceux-là furent le plus admirés que l’on entendait le moins. Le succès du gongorisme et du cultisme fut tel, que le galimatias fleuri eut bientôt raison de la simplicité lumineuse. Balthazar Gracian, un jésuite, se fit le législateur de cette nouvelle littérature, dans son traité intitulé Agudeza y Arte de Ingénio. Ce qu’avait commencé Domingo de Guzman, fondateur du tribunal de la Foi, fut achevé par les fils de Inigo de Loyola, auxiliaires des inquisiteurs.

De cette collaboration encouragée, secondée par le pouvoir, devait naître cet esprit creux, qui, depuis quatre siècles, sauf de rares intermittences, assimile le génie national aux plaines désolées de la Castille, où l’on trouve le désert sans oasis. C’est à dissimuler, à masquer ce vide de l’entendement que quelques Espagnols qui pensent appliquent toute leur énergie cérébrale. Si leurs écrits manquent de substance, ils sont émaillés en revanche d’adjectifs variés, d’épithètes sonores, de tournures savantes, ingénieuses, inimitables, qui ne sont en réalité que des tours de passe-passe et d’escamotage. Dans ce pays classique de la misère intellectuelle, le substantif n’a