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tricité, gardent encore quelques lois causales qui n’attendent qu’un progrès de l’expérience pour se fixer en se précisant dans l’énoncé de quelque fonction algébrique. De toute part apparaît un mouvement pour dépasser le second stade de l’évolution scientifique et démentir les paroles de Stuart Mili. C’est déjà une opinion accréditée parmi les hommes d’étude qu’on peut mesurer le degré de perfection d’une science par la quantité de mathématiques qu’elle emploie ; et c’est même cette idée préconçue qui a donné naissance à toutes ces mesures psychophysiques qu’on a récemment introduites dans la psychologie. On a pu les juger prématurées, parce qu’il ne suffit pas pour produire un état chez un être vivant (comme est toute discipline humaine) d’en faire apparaître artificiellement les symptômes. Il faut que les choses mûrissent d’elles-mêmes et réclament spontanément les secours dont elles ont besoin. Mais ces efforts mêmes montrent bien la nécessité de l’idée qui fait le fond de cette étude et qui s’impose, au nom même de l’expérience, aux hommes les moins préoccupés de logique ou de métaphysique. La science commence par la classification, s’élève de là à la causalité, mais n’atteint sa forme définitive qu’en éliminant ces degrés inférieurs qui l’y ont fait graduellement aboutir. C’est ainsi que l’artiste, après avoir sculpté le fronton d’un temple, détruit l’échafaudage qui lui a servi pour l’atteindre et qui déroberait au passant la vue de son œuvre. De même, notre connaissance du monde physique ne pourrait se constituer sans l’idée provisoire et grossière de la causalité ; mais elle ne peut apparaître dans sa pureté qu’en se défaisant d’une approximation qui l’obscurcit, et qui nous en dérobe la véritable nature.

André Lalande.