Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XXX.djvu/257

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
247
A. LALANDE.remarques sur le principe de causalité

cinq règles du raisonnement inductif et qu’il résumait toute sa théorie dans une formule qui du moins a le mérite de la netteté : « Toute méthode expérimentale recherche l’effet d’une cause ou la cause d’un effet[1]. »

Encore un progrès cependant et la science dépasse ce point de vue, démentant la théorie empiriste qui en dérive et qui veut faire une règle générale de cet état particulier. Ce n’est pas un roman philosophique que l’histoire de cette évolution, mais un fait que les savants sont à même d’apprécier tous les jours. La relation causale, établie entre des termes hétérogènes, et dont aucun n’est vraiment un, ne peut être imposée à l’esprit que du dehors. C’est une constatation empirique, mais dont nous ne saisissons pas encore le pourquoi. On peut diviser, préciser, multiplier les expériences, avoir recours aux instruments physiques et psychologiques les plus parfaits : le secret de la nature nous échappera toujours tant que nos formules resteront purement causales et se contenteront d’unir synthétiquement deux faits distincts et par conséquent irréductibles[2]. Quand je saurais que toujours et partout le mouvement produit la chaleur, cette causalité restera pour moi un mystère : je ne comprendrai que du jour où j’apercevrai, avec une identité de nature entre ces faits, la loi de la continuité qui les fond l’un dans l’autre. Aussi les plus parfaites des sciences inductives sont-elles arrivées à éliminer les idées de phénomènes et de causes ; et sans rien demander à la science de l’esprit, retrouvant par la seule force de leur développement la vraie nature du monde qu’elles étudient, ces sciences énoncent de plus en plus, au lieu de relations causales, des rapports numériques et géométriques. La chimie commence à atteindre cet état ; la physique l’a déjà réalisé depuis longtemps et les parties les plus achevées de cette science sont précisément celles où les mathématiques règnent en souveraines maîtresses. Au contraire, d’autres branches moins avancées, comme la météorologie ou l’élec-

  1. Logique, liv.  III, ch.  vi, §  3.
  2. De là vient que Stuart Mill se moque fort mal à propos des anciens qui cherchaient à montrer pourquoi telle cause produisait tel effet, en cela meilleurs philosophes que lui-même. Il est certain que sa Logique mutile singulièrement l’idée de cause en la réduisant à celle de succession constante. Mais il est bien évident aussi qu’en admettant l’hétérogénéité des phénomènes, il ne pouvait guère imaginer entre eux d’autre lien que la succession. Peut-être même tout son système vient-il de ce qu’il a été trop frappé de cet état où les sciences énoncent des liaisons causales, et de ce qu’il l’a cru définitif tandis qu’il n’était que transitoire : en tout cas la liaison est évidente entre la théorie empirique et cette façon de penser le monde. Un état plus avancé de la science, en manifestant les principes mathématiques sur lesquels elle se fonde, doit au contraire ramener l’esprit au rationalisme.