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embarras factices en n’oubliant pas qu’il n’y a de science que des relations et que toute relation, par un certain côté, est une fonction mathématique.

Ici donc la même conclusion s’impose encore : l’universalité des lois, postulat fondamental des sciences d’expérience, se ramène à l’universalite des rapports numériques et géométriques. Voilà déjà notre problème bien débrouillé : l’obscurité qui venait de l’idée inadéquate et confuse de causalité disparaît aussitôt qu’on se défait de celle-ci. La difficulté qu’on éprouve à fonder l’induction est seulement le symptôme du mal ; la racine en est ailleurs et c’est là qu’il faut s’attaquer. Voilà surtout ce que nous voulions faire voir. Mais il nous reste encore un pas à faire. Admettrons-nous sans démonstration la valeur universelle des relations géométriques, ou ne pourrait-on pas prouver qu’il est dans leur nature même de jouir de cette universalité qui est le vrai fondement de l’induction ?

Notons d’abord que ce postulat, si c’en est un, est commun à la physique et aux mathématiques. Pour le contester dans les sciences expérimentales, il faudrait nier aussi la valeur de l’algèbre et de la géométrie. Le géomètre n’hésite pas un seul instant à universaliser ses formules. Il regarderait comme un fou celui qui viendrait dire qu’un triangle tracé dans Saturne n’a peut-être pas ses trois angles égaux à deux droits, ou que, dans Sirius, une droite coupe une circonférence en trois points. Il sait que l’espace est le même partout, et qu’un volume d’un mètre cube, fût-il séparé de nous par plus de lieues que n’en traverserait en cent ans la lumière, vaudra toujours mille décimètres cubes. Les prétendues régions de l’espace ne peuvent être distinctes l’une de l’autre ; et en effet, il n’y a pas de régions dans l’étendue tant que le mathématicien n’y a pas élevé ses trois coordonnées. Posez un point seul dans l’espace vide et essayez de concevoir qu’il se déplace. Une pareille proposition n’a pas de sens ; pour penser le mouvement il faut se donner d’autres points, et prendre certains d’entre eux pour fixes, tout à fait arbitrairement d’ailleurs. Il n’en est point dont on ne puisse dire tout aussi bien qu’il demeure dans une même région de l’espace ou qu’il en change. Cela dépend d’un point de départ que la nature ne fixe pas, et rien ne montre mieux l’homogénéité absolue de l’espace que la complète relativité du mouvement.

Ainsi parlerait un géomètre, constatant ce qui est. S’il était en même temps philosophe, il pourrait peut-être aller plus loin et chercher pourquoi il en est ainsi. L’espace n’est pas un être en soi, une chose réelle. C’est une forme a priori, que notre sensibilité transporte partout avec elle. C’est une fonction de notre esprit que de l’en-