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A. LALANDE.remarques sur le principe de causalité

La seconde partie du problème semble plus rude. Nous n’avons démontré que la proposition hypothétique : si les mêmes causes sont, les mêmes effets suivront. Mais pouvons-nous jamais revoir les mêmes causes ? Non sans doute. Cela même est totalement impossible. Une position différente dans l’espace ou le temps suffit à empêcher l’identité d’être parfaite, et dès lors, la rigueur logique de notre première formule devient toute formelle et inutile. Il faudrait pouvoir affirmer que le mouvement dans le temps ou dans l’espace n’altère pas la nature des causes agissantes. « Il faut croire qu’outre les substances sur lesquelles a porté l’observation, il en existe d’autres qui tout en étant d’autres substances, d’autres sujets, d’autres parcelles sont cependant de nature semblable[1]. » Il faut admettre que les causes dont procèdent les phénomènes conservent toujours leur virtualité efficace et constante, et de l’avis de bien des logiciens nous ne pourrions accepter cette proposition que comme une croyance à la finalité, un postulat physique qui ne se démontre pas.

Mais la difficulté vient justement de cette confusion d’idées que nous avons essayé de dissiper plus haut. Quand les sciences sont suffisamment avancées (et c’est alors seulement qu’elles dépassent l’analogie pour atteindre l’induction pure), elles ne parlent jamais des propriétés d’une cause ou d’une substance. Sans doute, tant qu’on reste au point de vue sensible, on ne peut affirmer l’identité de deux morceaux de soufre, ou de deux chaleurs émises par des sources différentes. Mais entrons bien dans la pensée que c’est là une manière approximative de nous exprimer. Il faut transposer le principe de causalité pour l’appliquer aux sciences physiques, et lui rendre sa forme véritable : tout rapport de cause est un rapport mathématique latent. Les propriétés d’une substance chimique, l’action de la chaleur sur un corps, ce sont des formes et des mouvements très compliqués ; nous n’en pouvons rechercher l’équation que par l’expérience, mais nous savons qu’elle existe. Tout ce qui n’est pas rapport ou relation de ce genre est métaphysique, et la science inductive ne s’en occupe pas. Elle relègue dans les traités de philosophie les substances et les causes en soi. La grande œuvre des fondateurs de la science moderne, et de Descartes en particulier, a été d’expulser du domaine scientifique ces malfaisantes entités. La virtus dormitiva de l’opium nous fait rire, et cependant nous raisonnons toujours, dans la théorie de l’induction, comme si toute l’œuvre de la méthode expérimentale était de découvrir des formes substantielles de ce genre-là. Nous nous épargnerions bien des

  1. M. Naville, Ibid.