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naître cette relation, il nous suffit de savoir a priori qu’elle existe pour avoir le droit de la tenir pour universelle, dès que l’expérience nous aura permis de la déterminer : nous n’avons pas besoin de résoudre le problème des trois corps pour savoir qu’il comporte une solution., Le véritable fondement de l’induction est donc la valeur universelle des mathématiques, qui repose elle-même en dernière analyse sur le principe d’identité ; et c’est parce qu’un entendement parfait pourrait déduire qu’un entendement fini peut légitimement user de l’induction[1].

Mettons ceci sous une forme plus rigoureuse, dont le cadre nous sera fourni par une récente étude sur l’induction[2]. Pour induire, disent ceux qui font reposer l’induction sur le principe de causalité en lui attribuant une valeur réelle, il faut pouvoir affirmer deux choses : 1o que des causes supposées identiques par définition produiront toujours les mêmes effets ; 2o qu’il y a véritablement dans la nature des causes ou des systèmes de causes identiques.

Sur le premier point, qui est aussi le plus facile, cette théorie de la causalité donne pleinement satisfaction. En effet, dire que les mêmes causes ne produiraient pas les mêmes effets, ce serait admettre que deux systèmes de points en mouvement, dont tous les éléments sont identiques et qui ont subi exactement les mêmes tranformations au temps t, pouvaient avoir au temps t + t′ des mouvements différents l’un de l’autre ; proposition absurde, car deux systèmes de ce genre n’en font qu’un et ne se distinguent en rien, aux yeux du mathématicien qui en écrit l’équation. C’est comme si l’on disait que deux droites qui coïncident sur un mètre de longueur peuvent ne plus coïncider au delà. La formule causale, énonçant en gros les résultats de cette identité parfaite, devra donc affirmer que les mômes causes, si elles sont données, reproduiront les mêmes effets ; ce qui était la proposition à démontrer.

  1. Tel est le fond de la pensée de Descartes, quand il fait une si large place à l’expérience dans son œuvre et dans sa vie. On a été bien injuste en le lui reprochant et surtout en condamnant sa méthode au nom de la méthode expérimentale : elle lui appartient plus légitimement qu’à Bacon ou à Stuart Mill. Son idéal déductif reste celui de tous les savants modernes. Dès qu’il le peut, le physicien calcule et par conséquent se met à déduire. Et lors même qu’il induit, c’est encore au déterminisme mathématique de Descartes qu’il se réfère implicitement ; toute l’induction est en germe dans la règle cartésienne : « supposer de l’ordre même où nous n’en voyons point ». Il n’est guère de génie comparable à celui qui a ainsi posé d’un seul coup et pour toujours l’assise fondamentale sur laquelle toute la science s’est élevée.
  2. M. Adrien Naville, Remarques sur l’induction dans les sciences physiques (Revue philosophique, janvier 1890). M. Naville y accepte expressément la réduction de la causalité à l’identité, bien qu’il parte de considérations très différentes et qu’il la légitime par une démonstration tout autre que celle-ci.