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A. LALANDE.remarques sur le principe de causalité

toujours du mouvement et la pensée de la pensée. Le moraliste n’a que faire des mathématiques, et le savant ne rencontrera jamais la liberté dans ses équations. Aussi la seule position illégitime pour un philosophe est celle qui confond ces deux points de vue. C’est à cette position bâtarde que correspond le concept de l’efficace, et c’est pour cela qu’une analyse rigoureuse, qu’elle parte de la morale ou des sciences, devra toujours aboutir à le faire évanouir.

3. Dernière conséquence : l’explication que nous avons donnée de l’idée de causalité peut nous conduire à une grande simplification dans ce terrible problème de l’induction qui, pour les logiciens modernes, a remplacé la question des syllogismes en Baroco, cruces et opprobria logicorum.

Pour induire, il faut et il suffit que nous possédions la croyance à la stabilité des lois de la nature. Si nous admettons que « c’est une loi que rien n’arrive sans loi » nous avons évidemment le droit d’étendre à tous les cas les rapports que nous aurons une fois dûment constatés.

Or, si nous croyons à l’existence de lois physiques, c’est que nous savons qu’il y a des lois mathématiques, et par là notre croyance se trouve pleinement légitimée. Les lois physiques — nous pensons l’avoir suffisamment montré — ne sont que des lois mathématiques constatées par l’expérience. Nous sommes vis-à-vis du monde comme un enfant en face d’un théorème dont la démonstration serait trop compliquée pour son entendement. Il verrait bien, par exemple, que la longueur de la circonférence dépend de celle du diamètre, mais il ne saurait pas calculer le rapport qui les unit. Que ferait-il donc ? Il mesurerait de son mieux des circonférences et des diamètres, et arriverait ainsi, par l’expérience, à cette « loi physique » que l’un est environ le tiers de l’autre. Un bûcheron n’a point d’autre géométrie. Comme pour nous, lorsque nous faisons des sciences expérimentales, la rigueur de sa mesure dépendrait de sa patience et de la perfection de ses instruments. Comme nous, il conclurait à un rapport universel sans avoir expérimenté tous les cas possibles : il ferait une induction absolument identique à celle que font les physiciens tous les jours, — et il aurait parfaitement raison.

Et nous, qui sommes vis-à-vis de cet entendement imparfait comme serait en face de nous-mêmes un esprit plus intelligent, nous voyons aisément dans cet exemple ce qui fonde la légitimité de l’induction. Une figure géométrique peut être beaucoup trop compliquée pour être analytiquement résolue ; cela n’empêche pas qu’il n’y ait une relation entre les différentes lignes qui la composent, et sans con-