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g. fonsegrive. — l’homogénéité morale


et s’arrangeaient, comme d’eux-mêmes, en murailles et en tours, de dociles matériaux[1]. »

Il faut donc en l’homme la mise en œuvre de la raison et de la volonté pour constituer la vertu. Et non seulement l’homme se fait sa vertu, mais encore on la lui fait. L’œuvre de l’éducation n’a pas d’autre but. Cette formation en l’homme d’une âme nouvelle, d’une nature nouvelle, est une œuvre longue et difficile, soit qu’arrivé à l’âge d’homme il se résolve à s’édifier soi-même, soit que des pères en des instituteurs vigilants se donnent la peine de l’édifier. Notre étude ne serait pas complète si nous ne cherchions pas à déterminer les conditions principales de cette édification.

IV

Le but à atteindre étant d’établir dans l’homme l’homogénéité, il faut commencer par détruire l’hétérogénéité.

Or, nous avons vu que le personnage sensitif et le personnage sentimental n’étaient pas seulement contradictoires entre eux, mais même que chacun d’eux était en lui-même contradictoire et inconsistant. Leur inconsistance intérieure et leurs contradictions mutuelles sont la racine même de l’hétérogénéité. Il faut donc, pour que l’homogénéité puisse s’établir, que les tendances naturelles de ces personnages ne se réalisent pas d’elles-mêmes, que nous arrivions à les aliéner assez pour pouvoir les confronter avec nos idées avant qu’elles soient déjà réalisées. Toute édification morale devra donc commencer par la réduction des tendances naturelles des deux personnages primitifs. Le vieil homme doit mourir pour faire place au nouveau, qui empruntera sans doute à l’ancien nombre de ses éléments, mais qui le fera en connaissance de cause. Cette mortification des personnages primitifs est universellement conseillée par les moralistes, j’entends par les moralistes sérieux, tels que les stoïciens. Épicure même en dit quelque chose. Seuls Rabelais, Molière, et les philosophes du siècle dernier seraient peut-être d’un avis différent. Mais ceux mêmes qui blâment le plus la mortification comme antinaturelle, disent que l’homme doit se maîtriser et ne pas céder à ses passions. Qu’est-ce à dire sinon avouer qu’il y a en l’homme quelque chose à éliminer et à détruire, et que la nature doit subir une épuration ?

Le personnage sensitif et le personnage sentimental sont des

  1. Ravaisson, Rapport sur la philosophie en France au xixe siècle ; 2e édit., p. 209.