Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XXX.djvu/248

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
238
revue philosophique

nouménal parce qu’elle n’est au fond que le symbole de la continuité qui règne entre les parties du premier.

Cette démonstration présenterait un grand avantage sur les antinomies, qui sont le raisonnement classique employé d’ordinaire pour arriver au même résultat. Elle est d’abord beaucoup plus simple ; il suffit pour s’en convaincre de jeter un coup d’œil sur la Dialectique de la Raison pure[1]. De plus, elle permet d’assigner sa limite à l’idée de causalité sans sortir du monde phénoménal et sans avoir à raisonner un seul instant, fût-ce hypothétiquement, sur la nature du monde supra-sensible, ce qui lui donne le caractère essentiel des raisonnements employés d’ordinaire par les savants et la rend par là très propre à faire accepter cette idée philosophique en la présentant sous la forme qu’affectent d’ordinaire les vérités scientifiques. Enfin cette preuve est directe, c’est-à-dire tirée par simple analyse de la nature même du principe de causalité. Les antinomies sont, au contraire, une réduction à l’absurde : supposez, dit Kant, que la causalité s’applique au monde des choses en soi, et vous tomberez dans une contradiction. — Or, la preuve par l’absurde peut forcer l’assentiment de l’esprit, mais elle ne l’éclairé pas. Elle nous montre que certains rapports existent sans nous faire saisir la raison de leur existence, et ne respecte pas l’enchaînement logique des propositions, c’est-à-dire l’ordre selon lequel s’engendrent les vérités correspondantes, en tant que l’une est la raison de l’autre. Au contraire, si nous savons que la causalité naturelle est un symbole abréviatif de la continuité mécanique et n’a pas d’autre sens, nous voyons immédiatement qu’elle ne peut s’appliquer aux cas où cette homogénéité n’existe pas ; d’où suit naturellement que toute application de ce genre donnera lieu à un paralogisme transcendantal.

2. L’analyse de la causalité nous amène à une autre conséquence importante. Elle nous fait voir dans l’idée d’efficace un concept artificiel, et, pour parler comme les philologues, une maladie du langage. Si l’on divise le monde en phénomènes, c’est-à-dire en unités élémentaires, on ne peut évidemment expliquer l’action de l’un sur l’autre qu’en faisant intervenir un « pouvoir » mystérieux qui émane du premier pour créer son effet. Et comme il n’y a pas communauté de nature entre les deux, l’effet ne pourra plus être une partie aliquote de la cause. Celle-ci le produira donc sans s’épuiser elle-même,

  1. Troisième antinomie : la causalité et la liberté. Remarquer que, non seulement les antinomies, dans leur ensemble, sont une réduction à l’absurde, mais que la démonstration de la thèse et celle de l’antithèse sont, elles aussi, des raisonnements négatifs.