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A. LALANDE.remarques sur le principe de causalité

variées : un son, en tant que son, n’a nul rapport avec une odeur. Les perceptions, données premières de notre connaissance extérieure, sont de nature diverse, voire opposée, irréductibles l’une à l’autre pour qui ne dépasse pas ce point de vue. De là des unités, des phénomènes distincts, la discontinuité, enfin la causalité. Mais faire de celle-ci une propriété scientifique des choses, une loi du monde phénoménal et mécanique, c’est soutenir que les corps gardent leur couleur en l’absence d’un œil qui l’aperçoive ou leur sonorité quand nul ne les entend. Et le danger est même plus grave : car, au point de vue scientifique, les mots de son et de couleur perdent simplement toute signification propre, tandis que le principe de causalité conserve un sens, mais énonce alors une proposition fausse, et qui nous induit sans cesse en erreur.

II

Il suit de là plusieurs conséquences :

1. La première est que la loi de causalité n’est pas un principe rationnel, mais une formule empirique au sens mathématique du mot[1]. Bien que dans sa forme il énonce expressément une relation entre deux objets hétérogènes et distincts, il n’a de sens que s’il est en réalité l’expression approchée d’une continuité entre des éléments homogènes et dont la division n’est qu’arbitraire ; en tout autre cas, l’analyse précédente prouve assez qu’il est inapplicable et ne peut donner naissance qu’à des paralogismes. Or, cette constatation démontre de la façon la plus naturelle et la plus simple une des propositions fondamentales de la philosophie critique, à savoir que le principe de causalité et tout ce qui s’ensuit ne peuvent s’appliquer qu’à l’intérieur du monde phénoménal, et nullement à un rapport entre ce monde et une réalité supra-sensible. En effet, dans cette hypothèse, il représenterait une relation entre des termes hétérogènes, ce qui serait absurde étant donné sa nature : car il n’est au fond qu’une équation et il n’y a qu’une quantité mathématique qui puisse être égale à une quantité mathématique. En un mot, la causalité ne saurait nous faire passer du monde phénoménal au monde

  1. C’est-à-dire une expression approchée d’un principe rationnel, simplifiée en vue de la pratique et avec l’aide d’une expérience sommaire, mais qui tire cependant toute sa valeur du principe qu’elle représente, et, participe, en conséquence, de sa vérité absolue, mais seulement en tant qu’elle s’y peut ramener ; à peu près ce qu’est la formule approximative d’une quantité dont on sait a priori qu’elle existe et qu’elle a une valeur déterminée.