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A. LALANDE.remarques sur le principe de causalité

rejaillit, puis enfin qu’elle s’échauffe. Et ce seul terme de s’échauffer comprend encore et résume une infinité de mouvements de détail entre les différents atomes dont se forme une goutte d’eau. Et combien nous exprimons les choses grossièrement quand nous enveloppons tout ce monde d’action dans un mot : le phénomène de la pluie !

Un phénomène est quelque chose de quelconque : le mouvement d’une voiture, la mort d’un homme, l’anesthésie d’un membre, la hausse d’une valeur, la ténacité d’un caractère. Tant que nous restons dans de pareilles généralités et des définitions aussi vagues, le mot garde un sens. Précisons nos idées, il s’évanouit. « Il peut sembler, dit M. Rabier, que, dans la réalité, les mêmes effets peuvent être produits par des causes très différentes. Une même voiture peut être mise en mouvement par un cheval, par un mulet, par un âne. Bien des causes peuvent produire un incendie. Combien de causes diverses sont susceptibles d’amener la mort ! De cette multiplicité des causes possibles d’un même effet, résulte même l’une des plus grandes difficultés de la méthode expérimentale dans la recherche des causes. Pourtant, peut-être, l’expérience ne dément-elle ce principe qu’en apparence et uniquement parce que nous prenons la chose en gros et que nous ne savons pas discerner avec précision dans un cas de causalité en quoi consiste la cause, en quoi consiste l’effet. Prenons le cas d’une voiture en mouvement. Pour avoir l’effet total il faudrait tenir compte de tous les effets concomitants de l’effet principal (l’ébranlement de la voiture), à savoir : ébranlement du sol, traction exercée sur les brancards et les harnais, etc. En tenant compte de toutes ces circonstances, on verrait que l’effet n’est pas exactement le même quand c’est un cheval qui est attelé à la voiture ou quand c’est un âne. D’autre part, il faudrait aussi analyser la cause et l’on reconnaîtrait que, dans l’objet total que nous appelons cause, tout n’intervient pas comme cause de l’effet que nous considérons en particulier. Ainsi les oreilles de l’âne, par où il diffère du cheval, ne sont pour rien ce dans le mouvement de la voiture. En procédant de la sorte, on arriverait peut-être à reconnaître que ce qui est identique dans les effets (par exemple un même mouvement imprimé à une même masse) est produit dans les cas divers par une même cause (ici, une même quantité de force motrice)[1]. » Nous prenons ici sur le vif l’idée courante de la causalité et comment, pour accorder les faits et la théorie, on est obligé de vider peu à peu ce que nous appelons les phénomènes de tout ce qui les distingue les uns des autres.

  1. Psychologie, page 355, note.