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A. LALANDE.remarques sur le principe de causalité

sont des causes ? Pourquoi la distraction du passant serait-elle une cause et l’inexpérience du cocher une condition ? Vous pouvez, tour à tour, prendre pour cause tel détail qu’il vous plaira suivant que vous serez dans l’affaire médecin, sergent de ville, philosophe ou carrossier. Mais la Cause, le phénomène A, que devient-il dans ces compromis ? Stuart Mill s’y perd et s’enferme si bien dans ses propres exemples qu’il est obligé de jeter par-dessus bord sa première distinction : « La cause est, philosophiquement parlant, la somme des conditions positives et négatives prises ensemble, le total des phénomènes de toute nature qui seront invariablement suivis du ce conséquent, si elles sont réalisées. » Or, à parler en mathématicien, et je veux dire seulement par là, avec toute la rigueur dont notre entendement est capable, je dis qu’il n’est pas un événement, quelque insignifiant qu’il soit, qui n’ait pour cause, c’est-à-dire pour « la somme de ses conditions positives et négatives », tous les événements concomitants de l’univers, car il n’est pas un atome que les lois de la gravitation ne rattachent à tous les atomes. Telle est « philosophiquement parlant » la seule formule qui ait un sens. Et voilà ce que le principe d’universelle réaction fait du principe de causalité, quand on les serre un peu l’un contre l’autre. Ce n’est pas, je pense, à la gravitation qu’il faut s’en prendre.

2. Mais ce qui précède ne concerne que la liaison des événements dans l’espace ; le caractère vague et provisoire du principe de causalité apparaît mieux encore en considérant cette liaison dans le temps.

Soit un boulet de canon qui vient frapper une plaque de blindage. Il rougit. Quelle est la cause de ce phénomène ? C’est évidemment le mouvement antérieur du boulet. Fort bien. Mais qu’entendrons-nous par mouvement antérieur ? Sera-ce la trajectoire entière ? Ce n’est pas nécessaire. Le commencement en importe peu ; il ne communique qu’indirectement, pour ainsi dire, avec le phénomène que nous étudions. L’échauffement du boulet ne dépend, sa masse restant constante, que de sa vitesse pendant les derniers moments de son parcours. La véritable cause ne peut être que l’antécédent immédiat. Sera-ce donc la seconde moitié de la trajectoire ? Mais on pourrait répéter le même raisonnement en la subdivisant : sera-ce la dernière minute, la dernière seconde, le dernier dixième ?… Plus de raison pour s’arrêter ; nous voici aux prises avec l’infiniment petit, et la cause s’y perd. Il faut dire qu’il n’y a plus de cause, ou prendre pour cause la vitesse au moment précis du choc. Mais quelle singulière condition pour une cause que de n’exister qu’à l’instant même où elle cesse d’être pour céder la place à son effet ! Et de plus,