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causa, datus effectus ; sublata verom tollitur. S’il est vrai que savoir c’est pouvoir, Bacon lui-même nous apprend qu’on ne sait vraiment que de cette façon-là : « savoir, c’est connaître les causes. » Il ne manque pas d’hommes dont tout le talent est de savoir les causes et leur rapport avec les effets : ils peuvent ainsi écarter ou produire les événements. Le médecin, l’architecte, le politique, l’administrateur, le diplomate et tant d’autres encore escomptent les effets des acles qu’ils produisent. Et s’ils le font, c’est parce qu’ils tiennent pour vraies un certain nombre de propositions énonçant des rapports de causalité ; ils se représentent chaque fait comme le père d’un autre, et le monde comme un vaste système de phénomènes liés deux par deux, mais conservant dans cette liaison la nature et l’unité qui leur sont propres. Chacun d’eux, s’il dépend des autres pour son apparition, n’en est pas moins en soi et logiquement distinct. Et sans doute les faits, obéissant à la loi qui veut que chacun d’eux soit tour à tour effet et cause, s’enchaînent en séries dont nous ne voyons le commencement ni la fin. Mais de même que chacun d’eux, comme un anneau dans une chaîne, ne perd point son existence propre, ainsi ces longues séries elles-mêmes se mêlent et s’anastomosent sans se confondre pour former la trame du monde, et, pour nous servir des propres termes de Stuart Mill, « la toile en est faite de fils séparés. »

C’est justement cette séparation qui permet à la science de faire des lois, en isolant ces unités et en retrouvant leur enchaînement naturel. « Cette notion de cause, est-il dit dans la Logique, est la racine « de toute la théorie de l’induction[1]. » Par elle seule, en effet, sont intelligibles ces règles dont nous avons déjà parlé. Toute induction, pour être légitime, doit isoler un premier phénomène, l’effet, et un second phénomène, la cause. Prenons pour exemple la méthode dite de concordance, qui est la plus simple : « Si deux cas ou plus présentant le phénomène objet de la recherche, ont une circonstance commune et une seule, celle-ci est la cause cherchée. » Ceci ne peut avoir un sens que si nous sommes capables de séparer et de délimiter nettement un phénomène, une circonstance. Le symbolisme mathématique adopté par Mill rend la chose encore plus sensible. Soit, dit-il, un cas où le phénomène A est précédé des phénomènes B, G, D, E ; un autre cas où ce même phénomène est précédé de B, F, G, H, B sera la cause. Il est impossible d’affirmer d’une manière plus nette que A est quelque chose, sinon d’indivisible, au moins de susceptible d’être isolé et défini. Il doit en être de même de B, C, D… et

  1. Logique, liv.  III, ch.  v, §  3.