Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XXX.djvu/236

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
226
revue philosophique

et l’application croissante des mathématiques aux problèmes de la physique, de la chimie et de la biologie elle-même confirme cette vérité de la façon la plus décisive.

Mais il advient un phénomène singulier. Dnns les sciences mathématiques proprement dites et même dans la mécanique, il n’est jamais question de cause et d’effet, mais seulement de transformations et d’équivalence de mouvements. Au contraire, dans les sciences physiques, et surtout dans les sciences naturelles, psychologiques et morales, l’idée de cause joue un rôle considérable et prépondérant. Cela n’est pas douteux pour quiconque est familier avec ces études et cette remarque se trouve fortement corroborée par un fait historique : les trois tables de Bacon et les quatre règles d’induction de Stuart Mill, qui sont les canons de la science expérimentale, sont toutes des méthodes destinées à nous permettre de constater entre deux phénomènes des relations de cause et d’effet. Il en est de même de l’ouvrage de Claude Bernard, Introduction à l’étude de la médecine expérimentale, et de tous les traités élémentaires ou techniques qui ont pour objet la méthodologie des sciences inductives.

Or, s’il est vrai que toute science soit vraiment au fond un problème de mathématique — ce dont nous ne pouvons guère douter, — que vient faire ici cette idée de cause, qui n’est point mathématique ? Y a-t-il donc contradiction entre la méthode de la science et son principe ? Ou bien ne faut-il voir dans la notion de la causalité, malgré sa rigueur apparente, qu’une idée incomplète et vague, une approximation grossière, bonne tout au plus pour la vie courante, et que les progrès de la science finiront par éliminer ?

I

Cette dernière hypothèse peut sembler étrange. Quoi de plus net et de plus sûr que cette proposition : Tout phénomène a une cause ? « Rien de plus familier à l’esprit, dit M. Franck, que les notions d’effet et de cause ; rien de plus universel, de plus évident, ni d’une application plus constante que le rapport qui les unit et qu’on appelle le rapport ou le principe de causalité. Essayez de supprimer ce principe ou seulement de l’ébranler par le doute, à l’instant même la perturbation la plus profonde est jetée dans notre intelligence ; la pensée, et par conséquent la science, devient impossible[1]. » Voilà pour l’école éclectique. Je ne parle pas de Maine

  1. Ad. Franck, Dictionnaire philosophique.