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correspondance

prochainement, ceux qui voudraient savoir pourquoi je n’emploie pas cette expression qui tend, comme le disait Thurot, « à faire croire que les auteurs qu’on appelle sensualistes ont composé des ouvrages obscènes ou licencieux, ou au moins des traités de gastronomie ».

3o Les formules dont parle M. Bertrand sont celles où Biran prend à la lettre l’affirmation de Bonnet que toutes les opérations de l’âme ne sont que des mouvements et des répétitions de mouvements, où il compare le cerveau à l’estomac, la production de la pensée à la digestion, où il estime que le mystère de la multiplicité dans l’unité du moi, impénétrable dans toutes les hypothèses, s’obscurcit surtout lorsqu’on suppose un principe particulier, distinct de l’organisation, qui sent, meut, et pense à la fois dans un point du cerveau. Est-ce forcer « le sens et la portée » de ces formules, que d’y trouver une conclusion matérialiste etmécaniste, en même temps que la critique du spiritualisme ?

4o « Biran, ai-je dit, est en l’an IX un disciple enthousiaste de D. de Tracy et surtout de Cabanis ; en l’an X, il est encore, quoique avec plus d’indépendance, disciple de l’un et de l’autre ; en l’an XI, il se défend d’être un adversaire du spiritualisme et invoque l’autorité de Condillac et de Bonnet, dans la première étape de la voie qui devait le conduire au spiritualisme, puis au stoïcisme et enfin à un christianisme voisin du mysticisme. » — Comment M. Bertrand peut-il supposer, d’après un Discours de l’an II (1794), que j’ai été trop affirmatif pour l’an IX et l’an X ? Surtout quand il rappelle lui-même, dans sa très remarquable Psychologie de l’Effort (p. 97), que Biran avait, selon Ampère, changé plusieurs fois d’opinion de 1806 à 1812, sur l’origine de la connaissance des corps et épuisé, en quelque sorte, toutes les tentatives qu’on peut faire pour l’expliquer !

5o Je n’ai dit nulle part que Biran n’est pas « un spiritualiste de sentiment, d’inclination ». Au contraire, après avoir cité la note écrite par Biran sur la marge de la copie de M. Naville : « Il n’y a qu’un seul objet qui paraisse capable de remplir notre âme et de fixer notre sentiment, c’est Dieu », j’ai ajouté : « Il y a lieu d’être surpris, à première vue, du chemin qu’a parcouru Biran ; on l’est moins, quand on relit dans les Pensées de 1794 à 1796, l’éloge de Socrate et de Platon, de Pascal et de Fénelon, quand on retrouve, dans le Mémoire de l’an IX lui-même, le nom de Reid cité à plusieurs reprises avec un certain nombre d’allusions à ses doctrines. »

6o Je compte publier, à bref délai, le Mémoire de l’an IX et les passages supprimés de celui de l’an X. Ceux qui s’intéressent à ces questions et se demandent s’il faut voir en Biran un philosophe original ou un disciple, non sans originalité, de D. de Tracy et de Cabanis ne pourraient qu’être, comme moi, reconnaissants à M. Bertrand, s’il publiait avec le Discours dont il nous parle, les lettres d’Ampère, de Biran, de D. de Tracy et de Cabanis.

Veuillez agréer, Monsieur et cher Directeur, l’expression de mes meilleurs sentiments.

F. Picavet.