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g. fonsegrive. — l’homogénéité morale

Or, comment y parviendra-t-on ? On ne le peut faire qu’à une condition, c’est que le personnage verbal ne reste pas extérieur et superficiel, constamment prêt à s’évaporer en paroles. Il faut que les mots, véhicules des idées, reprennent pour l’esprit leur véritable valeur. Il ne faut plus qu’ils demeurent des signes abstraits et morts, il faut qu’ils deviennent des éléments concrets de la vie morale. Il faut donc par delà les sons et les vagues relations logiques retrouver le sens profond des mots, reconstituer dans l’âme la synthèse de notions, d’images, de sentiments, de tendances, dont le mot est devenu le signe abréviatif. Le mot doit nous aider à faire revivre et reparaître toutes ses conditions concrètes[1].

Ce travail n’est pas impossible. Le mot de courage, par exemple, n’est longtemps pour l’enfant qu’un signe abstrait associé à d’autres signes presque aussi abstraits de louange, de gloire, d’honneur, de patriotisme, etc. Mais qu’il ait à subir une légère opération et qu’on appelle son attention sur la force qu’il lui faut déployer pour se présenter de lui-même à l’opérateur, pour ne pas crier, etc., le mot « courage » prendra pour lui un sens plein et précis à la place du sens vague et abstrait qu’il avait auparavant. Les louanges qu’on lui donne, la satisfaction intime qu’il éprouve s’associent à cette idée vivante de courage et de force d’âme. Le mot courage est maintenant plus qu’un signe verbal, il est le point de départ d’images, de sentiments et de tendances qui tiennent à la trame même de la vie. Que maintenant l’enfant vienne à lire des exemples de courage, des traits d’héroïsme, il est préparé à les sentir et à incorporer dans sa vie toutes les tendances que leur imitation éveille.

Quand chacun des mots du système de morale logico-verbal sera ainsi incorporé dans un groupe d’images, de sentiments, de tendances, une attraction se produira dans le fond de l’être entre ces groupes divers comme elle se produisait entre les mots ou termes qui les symbolisaient appauvris. Les attractions, dépendances et ordonnances logiques ne sont que les apparences claires des attractions, dépendances et ordonnances constitutives de l’être. La vie est une raison qui s’ignore, et la raison le petit champ limité où la vie arrive à se connaître. Si l’hétérogénéité morale existe en fait, ce n’est pas par une loi essentielle de notre vie, c’est au contraire aux dépens de sa plénitude. Et comme nous le sentons nous-mêmes d’un sentiment intime et profond qui nous pénètre jusqu’aux derniers replis dans ces rares moments où la conscience charmée ressent l’harmonie de tout son être, la souplesse des membres, la finesse et

  1. Voy. Egger, loc. cit.