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analyse de l’étude principale de ce volume. L’article de M. Grote, l’un des plus actifs parmi les philosophes de la jeune école russe, est intitulé : Critique de ridée du libre arbitre dans son rapport avec l’idée de causalité.

Dans une courte introduction, M. Grote pense que le remède contre le « doute » et « l’illusion », que l’homme porte dans son esprit, doit consister dans une « sévère » critique des idées. Mais cette critique, apparue dans l’esprit moderne avec Locke et Hume, poussée par Kant jusqu’aux dernières limites de la raison, a abouti tantôt au pessimisme (Schopenhauer), tantôt au positivisme, et produit une « double comptabilité de l’âme ». Le devoir de la philosophie est précisément de combattre cette dualité de l’esprit et de s’efforcer de ramener l’humanité à la linalitc interne et à l’unité de la conception du monde et de la vie en général. Cette dualité, dont il faut faire remonter la responsabilité jusqu’à Kant, nous la retrouvons dans Schopenhauer, qui a encore renchéri sur les erreurs du maître, principalement dans la question du libre arbitre. L’effort de M. Grote va porter sur la critique nouvelle de cette idée.

I. Méthode d’investigation. — Dans la science en général, s’impose la nécessité de l’emploi réciproque et simultané de la méthode interne et de la méthode externe. Les mathématiques y comme la critique de Kant l’a démontré, doivent faire exception à cette règle, et être construites par notre esprit absolument en dehors de l’expérience : c’est ce qui les distingue des sciences pysiques. Pareille distinction est nécessaire, « dans le domaine des investigations relatives aux objets de l’expérience interne ». C’est la métaphysique, qui a pour objet un tel ordre d’investigations. Elle peut examiner les formes générales et les principes de toute expérience et de toute vie spirituelle (c’est-à-dire correspondre à la psychologie, comme science expérimentale, c’est la métaphysique au sens propre), ou les formes générales de quelque domaine spécial de la vie psychique (par exemple la théorie de la connaissance ou logique métaphysique), ou de la vie psychique esthétique (esthétique métaphysique ou métaphysique du beau). La métaphysique n’est qu’une branche de la philosophie[1] ; celle-ci est la science totale par excellence, elle tend vers la synthèse de toutes les données formées par les sciences de l’expérience externe et interne dans le tableau général du monde et de la vie, et pour cela elle a recours à des procédés particuliers de l’imagination créatrice.

S’il est vrai que la tâche de la métaphysique soit « l’analyse des catégories fondamentales de toute connaissance et de toute expérience », auxquelles appartiennent les idées de liberté et de causalité, reliées entre elles par une correspondance étroite, la méthode à appliquer à rétude du libre arbitre est la méthode métaphysique. Il ne s’agit pas de rechercher les faits d’expérience interne, qui confirmeraient l’existence du libre arbitre, mais un certain critère général ou le principe

  1. Voy. Qu’est-ce que la métaphysique ? par M. Grote (Probl. de phil., n° 2, 1890).