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faut croire, croyez, rien n’est si bon que de croire », disait l’orateur, et il ajoutait, ne se doutant pas de la cruelle ironie de ses paroles : « Vous sentez le besoin de l’action, c’est une vertu. Mais il faut à l’action un principe ; lequel ? C’est la foi. La foi est la mère de l’action. » Oui-da, un oreiller, si doux qu’il soit, n’est pas précisément un bâton de montagne, et les vessies ne sont pas des lanternes.

Le même malaise intellectuel et moral se laisse facilement diagnostiquer dans l’état des esprits du vaste empire qui occupe la moitié orientale de l’Europe. Seulement, par suite de raisons historiques que tout le monde appréciera, l’épidémie régnante y a revêtu un caractère à la fois plus franc, plus rude, et moins alarmant, moins dangereux. Son symptôme le plus apparent est le tolstoïsme, sorte de grossière croisade religieuse contre la science et l’ensemble des mœurs sociales modernes, croisade qui, par ses côtés doctrinaux, rappelle certaines thèses de Malebranche et de Jansénius, et, par ses côtés sociaux, semble n’être qu’un pastiche inconscient ou un « revival », comme disent les Anglais, de la campagne menée en France par Rousseau. Quoi qu’il en soit d’ailleurs, le « tolstoïsme o a trouvé en Russie, sinon son maître, du moins un adversaire très habile, dans l’idéalisme spiritualiste des philosophes, prêché du haut des chaires universitaires et n’ayant jamais rompu avec les meilleures traditions de la culture scientifique. Car, et c’est là où nous voulions en venir, il y a spiritualisme et spiritualisme, comme il y a religion et religion, et le spiritualisme et la religion du professeur Grote, de Moscou, qui semble décidément avoir pris la direction du mouvement rationaliste que nous venons de signaler, n’ont rien de commun avec le spiritualisme stupéfiant, au sens propre du mot, du comte Tolstoï, et encore moins avec les élégances hystériques, le mysticisme sans objet et la foi sans symbole qui ont cours parmi nous. — M. Grote et ses collaborateurs — nous avons affaire, en vérité, à un groupe nombreux et compact de philosophes idéalistes — sont des esprits d’une autre trempe, plus forte et plus saine ; des esprits cultivés, très au courant des choses scientifiques, et surtout plus pondérés, mieux équilibrés que leurs congénères occidentaux de la phase présente ; par le sérieux de leur foi philosophique et l’ardeur juvénile avec laquelle ils défendent leurs idées, ils rappellent même parfois les temps héroïques de l’idéalisme allemand et français, ils font revivre devant nous les figures oubliées des Fichte, des Schelling, des Cousin et des Jouffroy.

Cette caractéristique générale des tendances de l’école de Moscou nous a paru de nature à intéresser le lecteur occidental ; nous nous apercevons malheureusement qu’elle nous a pris tant de place, qu’il ne nous en reste guère pour parler de l’article de M. Grote sur la métaphysique. Nous nous en consolons en pensant que le résume que nous aurions pu faire de ce travail n’aurait donné, en somme, au lecteur, comme cela arrive ordinairement, qu’une idée très imparfaite de l’original. Voici, d’ailleurs, en quelques mots, l’idée mère de la nou-