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en ceci, que la science est une chose faite, existante, soumise à un développement régulier, tandis que la philosophie n’est pas, à rigoureusement parler, ou n’existe qu’à l’état d’ébauche informe, d’embryon en voie de gestation. Or, tirer l’horoscope d’un enfant dans le sein de sa mère est infiniment plus difficile que de prédire les destinées d’un homme dans la force de l’âge. Cependant, les religions, les théologies, voire la métaphysique, qui n’est qu’un nom de la philosophie, ont brillé d’un éclat incontestable et ont rempli le monde du bruit de leur marche triomphale. Mais où en sont-elles actuellement, à quoi ont-elles abouti ? De même, l’illusion, l’erreur, la déraison et la folie ont mené grand train dans l’histoire ; mais personne ne dira, sans doute, que c’est là un motif suffisant pour les cultiver et en perpétuer, en multiplier les germes. Selon nous, c’est à la science arrivée à sa période de pleine maturité qu’incombe la tâche grandiose d’enfanter la philosophie — une conception du monde qui sera universellement reconnue pour vraie, pour exacte, dans ses grandes lignes aussi bien que dans ses détails. Quant aux conceptions qui ont porté le même nom, qui se sont parées du titre de philosophie, elles ont été, comme les erreurs encore plus grossières qui les ont précédées et préparées, les filles de l’ignorance ou, tout au moins, d’une science trop chétive et trop débile pour produire une philosophie viable. Mais science et ignorance étant des termes non seulement corrélatifs, mais encore essentiellement relatifs, on y voit autre chose que des phases différentes d’une seule et même évolution, on les considère souvent, quoique évidemment à tort, comme des degrés différents d’un seul et même état de conscience ; on est conduit, par suite, à faire régner la même confusion entre les effets ou produits de ces causes ou agents, entre la philosophie telle qu’elle a existé et la philosophie telle qu’elle pourra ou devra se produire.

M. Iwantzoff nous paraît accepter, en une large mesure, les vues que nous venons d’indiquer et que nous avons maintes fois développées — on nous pardonnera de le rappeler — dans des ouvrages écrits en français et en russe. Son article est composé de deux parties. Dans la première, il critique quelques-unes des définitions courantes de la philosophie, s’arrêtant plus particulièrement sur la confusion de la science avec la philosophie. À cet égard, nous lui ferons le reproche de n’avoir pas vu que, loin d’être une illusion des temps modernes, cette confusion, bien qu’inconsciente et revêtant des formes auxquelles nous ne sommes plus accoutumés, a été le signe distinctif de l’ancienne métaphysique elle-même ; cette prétendue nouveauté, attribuée, d’ailleurs, un peu à la légère, par M. Iwantzoff au criticiste (doublé de positiviste) Riehl, n’est donc, en somme, qu’une survivance du passé. Elle est seulement devenue plus apparente aujourd’hui, peut-être comme un foyer qui jette une dernière et vive flamme avant de s’éteindre. Je me hâte d’ajouter qu’on peut soutenir la même thèse à l’égard d’une notable partie de la succession théologico-métaphysique que nous sommes