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tingue des autres par plusieurs particularités. Ainsi Platon n’y professe pas encore pour la connaissance sensible ce mépris qui est si prononcé dans le reste de l’ouvrage ; il n’y est pas encore fixé sur la condition de l’âme dans l’autre monde et n’a pas même l’air de croire à la vie future : par contre, il a encore la ferme conviction qu’on peut réaliser le bonheur sur la terre au moyen d’une bonne organisation sociale. Ce n’est pas l’au delà, mais c’est la vie terrestre dans toute sa plénitude qui forme l’objet de ses préoccupations.

Dans la partie B, l’esprit de la philosophie de Platon change complètement. Ce n’est plus le sain réalisme socratique de la première période, visant surtout à l’action pratique et sociale ; c’est un ascétisme exalté, mais pessimiste en ce qui concerne la vie réelle, égaré dans les nuages d’une métaphysique abstruse et mystique. C’est la philosophie d’un théoricien qui n’a trouvé que des déceptions dans la vie pratique. Il est impossible, d’après M. Pfleiderer, que la partie A et la partie B aient été composées à une même époque : ce n’est plus la même philosophie, ni le même ton général ; même les vues de détail qu’on trouve dans ces deux parties diffèrent considérablement entre elles.

Quant à la partie AB (le livre X), elle contient des théories qui ne rentrent pas dans l’ordre d’idées de la partie A et qui se rapprochent beaucoup des doctrines de la partie B ; mais ces théories n’y sont pas encore assez nettes ni assez mûres pour qu’on puisse les assigner à la même période que la partie B. Il faut donc croire que la partie AB est postérieure à la partie A et antérieure à la partie B.

M. Pfleiderer classe les autres ouvrages de Platon suivant leurs rapports avec l’une ou l’autre de ces trois parties de la République.

À la première période de l’aclivite littéraire de Platon appartiendraient les ouvrages conçus dans un esprit purement socratique, notamment : le Petit Hippias, le Lâchés, le Charmide, l’Eutyphron, le Protagoras, la République (partie A) et, comme conclusion de cette période, l’Apologie et le Criton. Viennent ensuite le Gorgias et le Ménon, qui ouvrent la seconde période pendant laquelle Platon, désabusé et découragé, s’éloigne de plus en plus de la réalité et cherche un refuge dans une métaphysique de plus en plus dédaigneuse de l’expérience sensible. C’est dans cette période que Platon élabore sa théorie des idées, qui n’est que l’expression philosophique de cet état d’âme. Les dialogues de cette catégorie se suivent à peu près dans cet ordre-ci : le Phèdre, le Cratyle, la République (partie AB), le Théétète, le Sophiste, l’Euthydème, le Politique, le Parménide et, comme points culminants, la partie B de la République et le Phédon.

Désespérant de faire accepter aux autres ses opinions dans toute leur austérité idéaliste, Platon, d’après M. Pfleiderer, fut obligé de pactiser avec les conditions de la vie réelle ; voyant qu’il était impossible de transporter son idéal tel quel du ciel sur la terre, Platon finit par tenter de concilier dans son système les intransigeances de l’idée avec les nécessités qui pèsent sur le monde matériel. Il lit une sorte de