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les intensités, les qualités et les durées ? d’où vient la notion d’intensité et de quel droit M. M. lui-même continue-t-il de parler de l’inlensité de lexcitant ? — Ajoutons enfin, pour montrer le manque de précision qui à certains égards règne dans les idées de M. M., qu’il ne distingue pas suffisamment l’intensité de la sensation musculaire de la perception de l’amplitude du mouvement effectué.

Une conséquence importante, relevée par l’auteur, de la théorie qu’il a développée, c’est que deux paires de sensations doivent pouvoir se comparer alors même qu’elles appartiennent à divers sens. M. M. a en effet vérifié que cette comparaison est non seulement possible, mais facile. Il a institué, pour faire cette véritication, une série d’expériences ingénieuses et intéressantes. Des intensités de lumière, de poids et de son ont été comparées d’une part à des mouvements de bras, d’autre part à des mouvements d’yeux. Or le résultat de ces expériences a été le suivant : il y a eu accroissement constant soit des mouvements de bras, soit des mouvements d’yeux en même temps que de l’intensité de l’excitant, c’est-à-dire que de l’intensité de la lumière, du poids, du son. M. M. a été plus loin : d’après ses expériences et au moyen du calcul il a comparé les trois excitants en question et trouvé qu’un accroissement de poids, un accroissement de son et un accroissement de lumière paraissent en moyenne égaux quand ils sont entre eux à peu près comme 2, 1 et 1, 24. D’où cette autre conséquence, que la loi de Weber ne s’applique pas au cas de comparaison de l’ensemble des divers sens entre eux.

Mais voici l’objection qu’on peut faire de nouveau aux expériences et calculs précédents, en tant qu’invoqués en faveur de la théorie de la tension musculaire : c’est que, s’ils laissent subsister cette théorie, ils n’en prouvent pas l’exactitude. Peut-être, à la vérité, les sensations musculaires ont-elles joué, dans les expériences entreprises, un rôle important ; en effet les sens considérés sont liés à des organes moteurs soit directement comme la vue, soit indirectement comme l’ouïe qui s’associe à ceux de la parole ; et, dans ces conditions, la comparaison des intensités des sensations est sans doute favorisée par la comparaison des sensations musculaires produites en même temps qu’elles. Mais dût-on même admettre que seules, dans de semblables expériences, les sensations musculaires sont comparées et mesurées, la question générale n’aurait pas fait un pas et nous continuerions d’affirmer, pour les raisons énumérées précédemment, qu’il y a un rapport naturel entre tout accroissement de l’intensité proprement dite et de la réaction musculaire qui l’accompagne, que les intensités croissent suivant un ordre déterminé correspondant à un ordre plus ou moins semblable des accroissements de la réaction musculaire, que seule l’analogie de ces deux ordres permet de négliger l’un pour fixer son attention sur l’autre, qu’on ne peut se borner à considérer les sensations musculaires que parce qu’on pose par devers soi inconsciemment ce postulat que ce qui est vrai d’elles sous certains rapports l’est aussi des autres sensations.