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ANALYSES.münsterberg. Beitraege zur Psychologie.

finalement gain de cause en prétendant que cette mesure est possible, il y a cependant dans la critique des premiers quelque chose de juste, savoir que la sensation forte n’est pas un composé de sensations faibles, qu’elle est quelque chose d’entièrement nouveau. M. M. affirme donc nettement lui-même que la plus forte et la plus faible sensation diffèrent qualitativement, d’une manière générale que les différences d’intensité sont des différences de qualité[1], et, contre Wundt, qu’il y a ici autre chose qu’une dispute de mots. Cependant il maintient lui-même que ces intensités de la sensation, quoiqu’elles se réduisent à des qualités, sont mesurables. Suit, pour faire comprendre cela, une théorie de la mensuration qui se résume en ceci : « L’unique fondement psychologique de nos mensurations physiques est notre sensation musculaire, en tant que toute mesure repose sur la mesure d’étendues, de durées et de masses et qu’une estimation de ces dernières n’est possible que sur la base de la sensation musculaire. » Pourquoi maintenant cette situation privilégiée reconnue à la sensation musculaire ? Parce que mesurer c’est constater l’existence en plus grande quantité dans le tout, en moindre quantité dans les parties de ce tout, d’un élément identique et que « dans toute perception la sensation musculaire est le seul élément qui, lorsque je divise en parties l’objet de la perception, se retrouve dans chaque partie, mais en moindre quantité dans chaque partie que dans le tout » (22). Chaque morceau d’un papier rouge, par exemple, prétend M. M., reste au contraire aussi rouge que le papier tout entier[2], et, par conséquent, le rouge du tout ne peut pas être mesuré avec le rouge du morceau considéré pris comme unité. Ceci posé, la mesure des grandeurs psychiques, des intensités de la sensation, repose sur le même principe que celle des grandeurs physiques ; en effet, toute sensation provoque une réaction centrifuge, musculaire, s’associe ainsi à une sensation déterminée de tension musculaire qui précisément lui confère une intensité déterminée et en même temps la rend mesurable. Bref, d’une part toute mesure se fait au moyen de la sensation musculaire qui seule a ces propriétés que la sensation faible est contenue dans la forte, qu’elles ne sont pas qualitativement différentes l’une de l’autre, qu’elles ne diffèrent que par leur durée et leur étendue, d’autre part l’intensité de la sensation en général est mesurable parce qu’elle résulte de la sensation musculaire qui accompagne toute sensation.

Puisqu’il s’agit ici, selon l’auteur, du fondement même de la psychophysique, insistons sur les objections qu’on peut faire à la théorie précédente. Elle a le défaut général d’expliquer obscur uni per obscurius en faisant jouer un rôle privilégié à ce sens musculaire dont l’existence est encore aujourd’hui contestée par certains. De plus il est inexact que

  1. Comparer la thèse analogue soutenue récemment par M. Bergson, dans son ouvrage intitulé Les données immédiates de la conscience.
  2. Déclarons dès maintenant que cette assertion nous paraît fausse.