Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XXX.djvu/202

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
192
revue philosophique

Lui-même, en effet, reconnaît (144) que toute excitation rétinienne déterminée produit une réaction motrice déterminée ; d’où cette objection qui s’impose, c’est qu’on ne pourra jamais arriver à isoler ces deux phénomènes étroitement associés, l’un rétinien, l’autre musculaire, et que, si toute modification rétinienne entraîne ou tend à entraîner un changement correspondant dans l’état des muscles de l’œil, réciproquement, chaque fois qu’on croit agir simplement sur les mouvements de l’œil, on modifie en même temps l’état de la rétine.

Sens auditif de l’espace. — Après avoir passé en revue les théories de ses prédécesseurs, M. M. expose la sienne. Selon lui, l’oreille a, comme l’œil et la peau, son espace propre. Les ondes sonores produisent d’une part, dans le vestibule et le limaçon, les excitations d’où résulte la sensation de son : ces excitations sont relativement indépendantes de la position de la source sonore, et les légères différences qui résultent du déplacement de cette source sonore sont perçues comme différences qualitatives sans rapport direct à la localisation subjective de la direction du son. Mais, d’autre part, les mêmes ondes sonores produisent dans les canaux semi-circulaires d’autres excitations qui sont entièrement dépendantes de la situation de l’objet d’où elles émanent ; cette dépendance se conçoit d’ailleurs aisément, quand on considère la position perpendiculaire des trois canaux les uns par rapport aux autres[1]. Ces excitations ne produisent aucune sensation de son, mais font apparaître d’une manière réflexe dans l’organe central, vraisemblablement dans le cervelet, des mouvements de la tête et de ses parties qui sont utiles à la conservation de l’individu en amenant les oreilles, par rapport à la source sonore, à la position requise pour l’audition la plus nette et qui est celle dans laquelle le son vient d’avant et avec une force égale pour les deux oreilles. Ces mouvements donnent naissance à des sensations musculaires qui elles-mêmes produisent l’espace auditif. Une expérience, qui est en effet très intéressante, paraît clairement prouver à M. M. que la localisation par l’ouïe ne peut tenir à la sensation même de son : si on fait arriver aux deux oreilles au moyen d’un tuyau fourché le bruit du tic tac d’une montre, si ensuite on éloigne l’une des branches du tuyau jusqu’à ce que, par exemple, le tic tac ne soit plus perceptible

  1. Nous avouons, pour notre compte, ne pas concevoir aisément la dépendance en question. Il n’y a, croyons-nous, qu’une analogie grossière entre les trois directions des canaux semi-circulaires et les trois directions auxquelles on prétend souvent, en géométrie, ramener en réalité et non seulement théoriquement l’infinité des directions de l’espace. Les canaux semi-circulaires n’ayant vraiment que trois directions, comment arriverions-nous, s’ils jouaient le rôle que leur suppose M. M. (et d’autres avec lui), à rétablir, avec leur seule aide, cette infinité des directions que l’espace en réalité possède ? C’est ce que M. M. n’explique en aucune façon. Supposer une reconstruction subjective de cette infinité de directions constitue une hypothèse sans fondement et qui va contre l’observation, qui nous montre l’enfant partant de la connaissance de cette infinité pour n’apprendre que tard la théorie géométrique des trois directions, laquelle est donc une découverte tardive, non une connaissance primitive.