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sociologiques de l’auteur se rattachent à des vues philosophiques sur l’ensemble du monde. Il serait injuste de la critiquer minutieusement. Je me bornerai donc à soumettre un doute et à demander si les similitudes physiques peuvent bien se ramener à des cas d’imitations. M. Tarde fait une réserve pour l’espace en indiquant toutefois que l’exception n’est peut-être qu’apparente. Mais pour les phénomènes physiques même, il me paraît difficile d’admettre que les similitudes soient des imitations. La lumière de Sirius imite-t-elle celle de notre Soleil, ou notre Soleil celle de Sirius, ou les deux dérivent-elles d’une source commune ? Nous pouvons bien remonter un peu hypothétiquement, il est vrai, aux origines de notre système solaire, mais les rapports des systèmes astronomiques différant entre eux, nous ne pouvons guère que supposer leur existence. La pluralité des mondes habites par des êtres vivants pourrait fournir matière à d’autres objections, mais nous ne sommes pas assez sûrs qu’il y en ait pour pouvoir insister sur ce point.

Enfin, en sociologie même, je ne puis admettre que l’imitation soit tout à fait ce que M. Tarde en fait. Je suis convaincu que ces théories expliquent beaucoup de faits historiques et sociaux, et que l’imitation sociale a une tout autre importance que celle qu’on lui aurait attribuée, mais je trouve d’abord que M. Tarde exagère son rôle, ensuite qu’il comprend sous le nom d’imitation des phénomènes qui doivent être interprétés autrement ; enfin, qu’il n’a pas assez insisté sur ce qu’il y a toujours de personnel dans l’imitation, sur l’invention, pour prendre le terme dont il se sert, qui paraît être pour lui une chose relativement rare et qui cependant, en fait, se mêle toujours et partout à l’imitation.

Peut-on admettre que l’imitation soit la caractéristique essentielle de la société ? M. Tarde repousse la conception économique comme trop large et la conception juridique comme trop étroite. Pourtant les rapports économiques et les rapports juridiques donnent bien lieu à des associations qui constituent ce qu’on appelle en général des sociétés. M. Tarde n’a peut-être pas suffisamment montré que le sens du mot société ne devait être ni aussi large que le ferait la conception économique ni aussi restreint que le ferait la conception juridique, mais, en admettant même que l’association économique sans imitation ne soit pas une société véritable, il faudrait encore prouver que l’imitation sans coopération à un but supérieur, sans participation à une vie commune, sans l’existence d’un système supérieur qui comprend comme éléments les hommes (qui s’imitent ou non), donne encore lieu à une société réelle. Or, en dehors de ce fait, l’imitation paraît devoir constituer un assemblage de singes, non une société d’hommes. Si l’imitation est sociale, c’est en tant que cette imitation contribue à la réalisation d’une idée supérieure aux individus qui s’imitent, à la coordination des éléments dans une forme sociale déterminée. On dirait parfois que M. Tarde est disposé à admettre cette idée, notamment lorsqu’il parle de la convergence des éléments sociaux vers une fin générale et aussi lorsqu’il oppose la socialité et la société, je pense