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ANALYSES.tarde. Les lois de l’imitation.

de faveur, d’une portée historique considérable, pour les exemples de nos pères ou pour ceux de nos contemporains. »

1o L’imitation marche du dedans de l’homme au dehors. « Il semble à première vue qu’un peuple ou une classe qui en imite un autre commence par copier son luxe et ses beaux-arts, avant de se pénétrer de ses goûts et de sa littérature, de ses idées et de ses desseins, de son esprit, en un mot ; mais c’est précisément le contraire. Au xvie siècle, les modes de toilette venaient en France d’Espagne. C’est que déjà la littérature espagnole s’était imposée chez nous avec la puissance espagnole. » Les Italiens « qui se mettent à singer l’antiquité gréco-romaine restaurée par eux, ont-ils commencé par relléter ses dehors, en statues, en fresques, en périodes cicéroniennes, pour arriver par degrés à se pénétrer de son âme ? Non, c’est au cœur d’abord que leur éblouissant modèle les a frappés. Ce néo-paganisme a été la conversion d’un peuple de lettrés d’abord, puis d’artistes, à une religion morte ; et, morte ou vivante, n’importe, quand une religion nouvelle, imposée par un apôtre fascinateur, s’empare d’un homme, elle ne commence pas par être pratiquée, mais par être crue ». Cette marche de l’imitation ab interioribus ad exteriora est générale ; parfois cependant, on commence par imiter les dehors du modèle, mais quand on commence « par l’imitation externe on s’y arrête ; tandis que de l’imitation interne on passe à l’autre » ; elle a une double signification : « 1o l’imitation des idées précède celle de leur expression ; 2o l’imitation des buts précède celle des moyens. »

2o L’imitation du supérieur par l’inférieur est encore une loi générale. « Les vaincus ne manquent jamais de se modeler sur les vainqueurs, ne serait-ce que pour préparer une revanche. Quand ils empruntent à ceux-ci leur organisation militaire, ils ont soin de dire, et ils croient sincèrement, que le seul motif de cette copie est un calcul utilitaire. Mais cette explication sera jugée insuffisante, si l’on rapproche ce fait de beaucoup de faits connexes où le sentiment de l’utilité ne joue aucun rôle. » Quant à l’appréciation de la supériorité sociale, elle est ainsi déterminée par M. Tarde : « En somme, la supériorité que l’on cherche à imiter, c’est celle que l’on comprend, et celle que l’on comprend, c’est celle que l’on croit ou que l’on voit propre à procurer les biens qu’on apprécie, parce qu’ils répondent à des besoins qu’on éprouve et qui, par parenthèses, ont pour source la vie organique, il est vrai, mais pour canal et pour moule social l’exemple d’autrui. Ces biens sont tantôt de vastes domaines, de grands troupeaux, des leudes ou des vassaux nombreux rassemblés autour d*une immense table ; tantôt des capitaux et une clientèle d’électeurs dévoués ; sans oublier les espérances célestes et le crédit supposé auprès des grands personnages d’outre-tombe, etc. »

3o M. Tarde distingue très justement des époques où domine l’imitation-coutume, d’autres où domine l’imitation-mode : dans les premières, on respecte et l’on imite surtout les ancêtres, on tient sur-