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nouveaux et dissemblables, les faits historiques proprement dits, sont le domaine réserve à la philosophie sociale ; qu’à ce point de vue, la science sociale pourrait bien être aussi avancée que les autres sciences, et que la philosophie sociale l’est beaucoup plus que toutes les autres philosophies. »

Donc « il n’y a de science que des quantités ou des accroissements, ou, en termes plus généraux, des similitudes et des répétitions phénoménales ». Mais cette dernière distinction est négligeable : « chaque progrès du savoir, en effet, tend à nous fortifier dans la conviction que toutes les similitudes sont dues á des répétitions ». Ceci est vrai, dit M. Tarde, dans le monde physique, dans le monde vivant, dans le monde social ; une seule exception, une « anomalie peut-être illusoire », nous est donnée par « la similitude des parties jugées juxtaposées et immobiles de l’espace immense, conditions de tout mouvement, soit vibratoire, soit générateur, soit propagateur et conquérant ».

Ce qui nous importe le plus ici, c’est ce qui concerne la science sociale ; M. Tarde consacre son second chapitre à démontrer que les similitudes sociales ont bien leur origine dans l’imitation. Il conclut que les ressemblances qui peuvent exister entre plusieurs états sociaux et qui n’ont pas pour cause l’imitation apparente ou cachée, n’ont pas d’importance au point de vue social et sont plutôt des résultats de phénomènes physiques ou vitaux. « Tout ce qui est social et non vital ou physique dans les phénomènes des sociétés, aussi bien dans leurs similitudes que dans leurs différences, a l’imitation pour cause. Aussi, ajoute l’auteur, donnant une ingénieuse interprétation d’idées courantes et vagues, n’est-ce pas sans raison qu’on donne généralement l’épithète de naturel, en tout ordre de faits sociaux, aux ressemblances spontanées, non suggérées, qui s’y produisent entre sociétés différentes. On a le droit, quand on aime à envisager les sociétés par ce côté spontanément similaire, d’appeler cet aspect de leurs lois, de leurs cultes, de leurs gouvernements, de leurs usages, de leurs délits, le droit naturel, la religion naturelle, la politique naturelle, l’industrie naturelle, l’art naturel, je ne dis pas naturaliste, le délit naturel. Or, ces similitudes importent certainement, mais le malheur est qu’à vouloir les préciser, on perd son temps et, par ce caractère de vague et d’arbitraire incurables, elles doivent finir par rebuter un esprit positif, habitué aux précisions scientifiques. »

Dans son troisième chapitre M. Tarde répond à la question : Qu’est-ce qu’une société ? Les chapitres précédents nous ont préparés à la réponse qu’il y fait : une société est une collection de gens qui s’imitent. L’imitation, c’est, pour l’auteur, la vraie caractéristique sociale ; ni la conception économique de la société, ni sa conception juridique ne trouvent grâce devant lui. La conception économique, fondée sur l’échange des services, tendrait à faire admettre que les sociétés animales sont non seulement de vraies sociétés, mais les sociétés par excellence, surtout Jes plus basses, « celle des siphonophores, par exemple, où la division